Après s’être payé le prix Mo Ibrahim récompensant le meilleur leadership politique sur le continent africain, pendant qu’il était encore en fonction, Issoufou Mahamadou s’est vu octroyer le titre de médiateur pour le Burkina-Faso par le ‘’syndicat’’ des Chefs d’Etat de la très controversée CEDEAO. A l’annonce de cette désignation surprenante, les observateurs indépendants de la vie politique nigérienne n’ont pas manqué de marquer leur étonnement et leur désapprobation face à ce choix. Car, pour être désigné pour ce titre, le candidat en question doit remplir un certain nombre de critères liés à son parcours politique qui se doit d’être exemplaire à tous points de vue ; un parcours politique irréprochable à donner en modèle. Or, justement, Issoufou Mahamadou était loin, très loin même d’une telle exemplarité pour un tas de raisons que nous allons évoquer dans cet article, à la fois au plan interne et externe.

Au plan interne
Lorsqu’il était à l’opposition politique, l’ancien leader du PNDS/Tarayya aimait se présenter sous les traits – trompeurs sans doute – du vrai démocrate, qui prêchait l’évangile démocratique sur tous les toits du Niger. Son intransigeance pathologique était à l’origine de l’éclatement de l’éphémère Alliance des Forces du Changement (AFC), cette coalition politique regroupant les formations politiques que l’on avait qualifiées, pendant la Conférence Nationale de juillet 91, de ‘’forces démocratiques’’ face aux ‘’forces rétrogrades’’ incarnées par le pouvoir politique de l’époque. Dix-huit petits mois seulement, cette alliance politique explosa avec le retrait du PNDS/Tarayya, en septembre 94, pour rejoindre le MNSD-Nassara du tandem Tandja/Hama. Alors, s’ouvrit une période noire pour le pays avec une Cohabitation houleuse qui plongea le Niger de ces années-là dans une situation chaotique. Et logiquement, intervint le coup d’Etat du 27 janvier 96, perpétré par le général Ibrahim Baré Maïnassara, Chef d’Etat-Major particulier du président Mahamane Ousmane, à l’époque. Au nom des principes démocratiques, il avait été le principal et farouche opposant du général Baré, en étant souvent à l’origine des fameuses ‘’Journées d’initiatives démocratiques’’ (JID) et d’’’Actions démocratiques’’ (JAD) qui rythmaient, régulièrement, la vie politique nationale de ces temps-là. La situation politique avait fini par pourrir et avait débouché sur la tragédie du 09 avril 99 que l’on sait. Malgré son antimilitarisme – de façade -, il avait fait la cour à la junte militaire, le Conseil de Réconciliation Nationale (CRN) du Chef d’escadron Daouda Malam Wanké, qui avait pris le pouvoir au lendemain de l’assassinat du général Baré. Mais, malheureusement pour Issoufou Mahamadou, le CRN ne put rien pour lui dans les urnes contre le robuste candidat du MNSD-Nassara, Mamadou Tandja, qui l’écrabouilla, au terme de l’élection présidentielle de novembre 99. Il devint, naturellement, dans cette Cinquième Républicaine, le principal opposant du régime de Tandja qu’il ne cessait de pourfendre. En 2004, il fut encore battu à plate couture par le président sortant, en dépit de ses campagnes nauséabondes de corruption et de mal-gouvernance qu’il avait entreprises contre le régime de Tandja. Il faudrait noter que durant les deux quinquennats de Tandja, personne n’avait empêché Issoufou Mahamadou et ses partisans de manifester dans la rue, pas même de la part du président Tandja, réputé à tort pour son antidémocratisme du fait de son passé militaire. Le président Tandja se bornait seulement, en grand sage politique, à lancer à l’endroit de son Premier Ministre, Hama Amadou, cette phrase en haoussa : ‘’ A tchalé sou, in soun gaji, souna bari’’ (laissez-les faire jusqu’à ce qu’ils se fatiguent) ! Ainsi, durant une décennie, personne, au Niger, n’avait restreint leur liberté de manifester, dont ils usèrent et abusèrent à satiété. Pourtant, lorsqu’Issoufou Mahamadou fut porté à la magistrature suprême, en mars 2011, les libertés publiques fondamentales connurent un régime des plus drastiques, inexplicable de la part d’un personnage qui se voulait le champion de la démocratie ! En effet, systématiquement, le régime de la renaissance s’illustrait dans le bâillonnement de ces libertés publiques, à savoir celle de manifester et celle de la presse. Bien qu’il prétendît signer la fameuse ‘’Table de la montagne’’, cette charte de dépénalisation des délits commis par voie de presse, Issoufou Mahamadou s’était révélé le pire prédateur de la liberté de la presse de toute l’Histoire du Niger contemporain, en faisant arrêter et incarcérer des journalistes dont le seul tort était de ne pas partager sa vision des choses. Il en fut de même des membres de la société qui furent jetés, par charrettes entières, dans les goulags du régime de la renaissance, sans aucune forme de procès équitable. Sur le plan politique, la démocratie nigérienne se transforma en une autocratie, en l’exercice d’un pouvoir personnel, l’opposition politique persécutée en permanence, le recours intempestif à la force à la place de la force des arguments, comme cela avait été vendu au public à une certaine époque. D’ailleurs, des instituts crédibles d’analyse des systèmes politiques dans le monde classaient le régime d’Issoufou Mahamadou dans la catégorie des régimes autoritaires, en dépit de l’organisation d’élections dans le pays. Car, les élections ne suffisent plus, de nos jours, à incarner à elles seules le régime démocratique, il faut nécessairement que l’exercice du pouvoir se déroule dans un contexte démocratique réel et non cosmétisé comme celui du régime de la renaissance d’Issoufou Mahamadou. Il en avait été ainsi au plan national !


Au plan externe
Dans son sillage, le régime de la renaissance d’Issoufou Mahamadou avait entraîné celui du régime de Blaise Campaoré, au Burkina-Faso, en accueillant, sur son sol, et en déroulant le tapis rouge aux opposants de celui-ci. Dès son arrivée au pouvoir, Issoufou Mahamadou avait abrité, au Niger, le principal opposant de Blaise, Salifou Diallo, décédé en 2017, en lui offrant l’accès à des marchés publics nigériens, comme celui d’’’Africard’’ qui avait longtemps défrayé la chronique dans le pays, afin de se constituer un trésor de guerre pour financer l’insurrection populaire depuis Niamey contre le pouvoir de Blaise. On sait toute la connexion qu’il y avait eue entre le régime de la renaissance d’Issoufou Mahamadou et le nouveau régime burkinabé du tandem Christian-Marc Kabore/Salifou Diallo. Malheureusement, le stratège Salifou Diallo disparut prématurément, et le président Christian-Marc Kabore se retrouva, alors, orphelin de la capacité manoeuvrière de ce Peul du Nord burkinabé. Face à son incapacité à mettre le pays en sécurité contre les assauts meurtriers réguliers des mouvements djihadistes qui avaient occupé une partie du territoire du Faso, le régime de Christian-Marc Kabore fut balayé par un coup d’Etat perpétré par de jeunes officiers supérieurs de l’armée, en janvier 2022. D’ailleurs, l’élection présidentielle de 2020 n’avait pas concerné tout le territoire du pays, estimé à environ trois millions d’électeurs sur les sept millions inscrits sur les listes électorales. Et depuis, ce fut le compte à rebours pour le ‘’pays des hommes intègres’’, engagé dans une transition incertaine avec, aujourd’hui, le retour au bercail de Blaise, en dépit de sa condamnation par la Justice burkinabé à la peine capitale pour l’assassinat du père de la révolution burkinabé, Thomas Sankara. Toutes les grilles de lecture de la situation politique du Burkina-Faso s’en trouvent ainsi, de nos jours, brouillées, du fait du retour des fantômes du passé afin de priver le pays de son aspiration légitime à la justice pour le vil assassinat de ce grand homme, peut-être, avec Nelson Mandela, le plus immortel du continent africain. Au nom d’une prétendue réconciliation nationale, un concept, au demeurant, fourre-tout dans lequel on peut glisser toutes sortes de raccourcis stupéfiants, l’on en vient à remettre en cause le cours normal de l’Histoire pour lui substituer l’épopée personnelle dans sa subjectivité historique.
Aujourd’hui, par ironie de l’Histoire, c’est Issoufou Mahamadou que le ‘’syndicat des Chefs d’Etat’’ de la CEDEAO a désigné, lors d’un sommet à Accra, au Ghana, comme médiateur dans la transition burkinabé actuelle ! Comme cela avait déjà été dit plus haut, Issoufou Mahamadou ne présentait pas toutes les garanties d’une personnalité neutre dans cette histoire de la crise politique actuelle du Burkina-Faso. D’ailleurs, dès l’annonce de cette désignation, les langues lucides se sont fait entendre. Du reste, face à l’aveuglement et à l’entêtement d’une organisation régionale largement discréditée auprès des opinions publiques africaines, en général, celles des pays-membres, en particulier, il ne paraît guère aventurier de prédire l’issue chaotique des pourparlers à venir.


Comment, alors, pour quelqu’un, qui n’avait jamais réussi à rassembler autour de lui son peuple, mais qui s’était, plutôt, illustré dans la ruse permanente et une démagogie dissimulée derrière un air de bonhomie primaire, comme méthode de gouvernance politique, comprendre qu’il soit désigné pour diriger le dialogue inter-burkinabé ? De surcroit, pour une personnalité loin de toute innocence dans le bordel actuel du Burkina-Faso ? C’est donc, au regard de tout cela qu’un tel choix est inconséquent, car le récipiendaire n’en est pas digne, tout simplement, car la démagogie politique et l’imposture démocratique ont leur place qu’elles méritent amplement : la poubelle de l’Histoire !
Sanda