Vous comprenez sans doute que votre conseiller soit affligé par ce débat d’état-civil qui vous a tant empoisonné la vie, bien avant que vous soyez là où vous êtes, aujourd’hui. Je ne suis pas le concerné, mais en faisant preuve d’un minimum d’empathie, chaque Nigérien peut se faire une idée de votre souffrance. C’est comme l’histoire d’un joueur de football professionnel qui est accusé de jouer pour le compte d’une équipe dont il n’a pas la licence homologuée par la fédération. Je ne sais pas, mon exemple peut être mal choisi. Cependant, je suis affligé de constater que le débat, nigéro-nigérien, a été porté sur la place mondiale par la voix du Premier ministre par intérim malien, Abdoulaye Maïga, un militaire de métier. C’est un coup dur pour un président, j’en conviens. Les contestations de l’authenticité de votre état-civil sont si lointaines que les Nigériens eux-mêmes ont cru la page définitivement tournée. Et voilà que l’affaire refait surface, à la tribune des Nations unies, portée par les autorités militaires maliennes. L’émotion suscitée par le discours du général Abdoulaye Maïga est grande et je comprends que de chauds partisans s’y laissent emporter, avec la folle envie d’en découdre avec nos frères et soeurs du Mali.

Vous êtes mieux placé que quiconque pour savoir qu’il n’y a pas de place à l’excès dans cette affaire. Nous sommes les plus grands perdants si nous décidons d’en faire un bras de fer. Les autorités maliennes, je le présume, ont bien plus que ce qu’elles ont dit à la tribune des Nations Unies. Je vous conseille volontiers de faire le mort et d’instruire autour de vous pour qu’il en soit ainsi. Je ne crois pas d’ailleurs en la sincérité de certaines voix si tonitruantes qu’elles donnent l’impression de chercher à attiser le feu, à l’entretenir pour des desseins inavoués. L’Egypte a bien été gouvernée par Mehemet Ali, un Turc et/ou un Albanais et il a bien plus mérité que beaucoup d’Egyptiens de souche puisqu’il est considéré comme le père de l’Egypte moderne. Ne vous laissez pas induire en erreur par ceux qui, derrière ce que Hassoumi Massoudou appelle « un patriotisme frelaté », veulent engager le Niger sur un sentier dangereux. J’ai entendu que vous avez déjà fait prendre une mesure douanière visant la suspension de la délivrance desautorisations de transit de produits pétroliers sur le Mali, non destinés à la Minusma accordées aux usagers ». La mesure va plus loin puisqu’elle précise que « l’utilisation des autorisations déjà délivrées pour accomplir les formalités de transit de produits pétroliers non destinés à la Minusma est suspendue ».

Monsieur le “Président” Si la mesure est authentiquement de la direction générale des douanes, je dois me faire le devoir de vous faire observer que vous allez plutôt loin. C’est une escalade dangereuse et vous commettrez sans doute une erreur monumentale que d’engager le Niger dans cette voie. Notre pays n’a pas besoin de ça, il a besoin de se concentrer sur ses propres problèmes et ce n’est pas moi qui les expliquerai. Lorsque vous avez prêté serment, vous en avez amplement parlé et je n’en rajouterai pas, ici. Soyez lucide, ne laissez ni la colère ni les grenouillages des laudateurs vous dicter une conduite dans cette affaire. Ce n’est pas une excuse à l’endroit des autorités maliennes, mais il faut admettre qu’elles ont répliqué à tant d’attaques venant de nous. Nous les avons si bousculées, insultées, traînées dans la boue que nous n’avons pas de raison d’être surpris, voire choqués, qu’elles réagissent comme elles l’ont fait. Vous vous souvenez que votre ministre des Affaires étrangères a qualifié le sentiment qu’elles ont de plus cher, le patriotisme, de « frelaté » ? Vousmême, vous n’avez jamais été tendre avec les autorités maliennes qui vous ont régulièrement écouté tenir des discours dits de vérité et de sincérité mais qui ne sont pas moins outrageants à leur encontre. Ces autorités maliennes ont beau être des militaires qui ont perpétré un putsch pour arriver au pouvoir, il reste que nous n’avons le droit de pousser si loin le bouchon. Je comprends bien que le coup d’État a été perpétré contre un ami du club, Ibrahim Boubacar Keïta. Mais, de là à s’engager dans un combat que je trouve insensé, il y a sans doute un pas que nous ne devons pas franchir. Combien de coups d’État y a-til eu chez nous ? Certains, pour ne pas dire celui De Djibo Salou, en 2010 et celui qui a été consécutif à l’assassinat du président Ibrahim Maïnassara Baré, en 1999, vous a même profité. A propos de celui d’avril 1999, je me souviens d’ailleurs de vos propos crus, recueillis par un journal de la place à qui vous avez confié qu’il n’y a aucune raison à regretter ce qui s’est passé du moment où cela permet la restauration de la démocratie pour laquelle vous vous battiez. Ah, l’Histoire ! Pourquoi sommes-nous les plus extrémistes dans cette affaire du Mali ? Le combat de qui faisons-nous pour nous mettre en mal avec ce pays frère et ami avec lequel le Niger partage bien plus que des frontières ? J’ai été particulièrement affligé d’apprendre que vous faisiez partie des chefs d’État de la Cedeao qui étaient contre la levée des sanctions contre le Mali. C’est si incompréhensible pour moi. Avons-nous un différend avec le Mali pour nous conduire comme de pires ennemis ?

Monsieur le “Président” J’ai appris, et j’espère que c’est faux, que vous avez, à nouveau, rappelé l’ambassadeur de notre pays au pays. Pourquoi, donc, gardons-nous tout un contingent armé au Mali. Pour qui sommes-nous là-bas. En 2013, je me souviens, c’était bien pour le Mali, ses intérêts et son intégrité territoriale que vous avez mis en avant pour envoyer un contingent militaire nigérien dans ce pays frère et ami.

Je vous le disais à l’entame de cette lettre, n’écoutez pas la voix des “vat- en-guerre” , vous êtes l’unique perdant de ce débat malsain. Il n’y a pas un autre, croyez-moi. Ce débat ne pouvait d’ailleurs mal tomber pour vous. Dans un contexte politique interne où l’on vous dit à couteaux tirés avec l’autre, décidé à reprendre la totalité du contrôle des manettes du pouvoir, et vous savez mieux que moi, pourquoi et pour qui, vous devez réduire au maximum les fronts. Cela vous permettra de vous concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire le Niger, qui attend de vous et de votre gouvernement un sursaut supplémentaire afin d’apporter aux réels problèmes, des solutions appropriées. Le Mali ne fait pas partie de ces problèmes, n’en faites pas un. Plutôt vous laissez passer le vent de ce discours et des propos qui vous ont écorché, mieux vous allez le surmonter. C’est un conseil sincère.

Monsieur le “Président” La France, je suppose, est plus qu’heureuse de vous voir vous braquer totalement contre le Mali au point de prendre, de façon tout à fait isolée, des sanctions visant à étouffer ce pays frère. Cela ne sert pas les intérêts du Niger. De mon point de vue, c’est une décision insensée puisqu’il s’agit d’un couteau à double tranchant. Je dois vous apprendre que suite à la note de service de la direction générale des douanes, les ressortissants maliens d’Ansongo, au Mali, ont décidé de saisir tous les véhicules contenant du carburant en provenance du Niger et destinés à la Minusma afin de le distribuer gratuitement à la population civile d’Ansongo et de la région de Gao. Pire, les organisations de la société civile d’Ansongo disent attendre des autorités maliennes une réplique appropriée en décidant de « bloquer les produits vivriers algériens qui transitent par la région de Gao pour le Niger, dans les plus brefs délais ». Y avez-vous pensé ? Si, comme beaucoup de nos compatriotes le disent, vous faites tout ce que vous faites à l’encontre du Mali pour servir la France, c’est vraiment dommage, car j’en ai personnellement honte, en tant que citoyen nigérien. J’ai honte surtout de constater que des autorités nigériennes, en l’an 2000, ont concédé à la France ce que Diori Hamani n’a pas accepté en 1967, déjà, avec la guerre du Biafra. En accueillant les forces militaires françaises sur notre sol alors qu’elles ont été chassées du Mali, vous avez commis une grave erreur que l’Histoire, pas celle frelatée avec laquelle l’on s’accorde de beaux rôles, mais celle qui va être écrite par les historiens, va se charger d’établir. C’est l’Histoire du Sahel ensanglanté et endeuillé par des forces armées obscures dont nos compatriotes, comme les citoyens maliens et burkinabè, ont une idée claire. C’est l’Histoire de l’Afrique tout simplement qui se bat pour sa liberté et son intégrité, en un mot pour cesser d’être ce que l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Abdoulaye Wade, Cheikh Tidiane Gadio, a appelé le continent « des riches les plus pauvres du monde et les pauvres les plus riches du monde ». C’est à vous de choisir dans quel camp vous allez être. Une chose est certaine, les peuples nigérien et malien partagent la même vision, épouse le même combat et nourrit les mêmes espoirs, ceux d’États souverains qui décident souverainement de leur destin.

Mallami Boucar