Plus que par le passé, les Nigériens sont aujourd’hui unanimes à décrier le dysfonctionnement criard de notre système judiciaire. Un dysfonctionnement caractérisé notamment par la lenteur, la nonchalance, la corruption et la politisation à outrance de l’institution, etc. Cette situation a créé un fort sentiment d’antipathie vis-à-vis de la justice au sein de l’opinion nationale. A l’occasion de la rentrée judiciaire 2023 intervenue le 10 novembre dernier sous la présidence de Bazoum Mohamed, président du Conseil supérieur de la magistrature, tous les acteurs de l’institution ont formellement reconnu la réalité de ces maux qu’ils souhaitent voir extirper de la justice nigérienne. Une belle occasion pour le Barreau des avocats et le Saman (syndicat autonome des magistrats du Niger) d’incriminer l’Exécutif d’être à l’origine de cette image négative que reflète aujourd’hui notre système judiciaire. Le Bâtonnier Kadri Oumarou Sanda, par exemple, n’a pas fait de détours pour le dénoncer. ‘’Je me dois sans complaisance aucune de relever les récriminations dont fait l’objet notre institution judiciaire. Ces récriminations sont, il faut le reconnaitre, justifiées pour une grande partie. Dès qu’on parle de Justice, les substantifs utilisés pour la qualifier sont : partiale ; aux ordres ; corrompue, politisée et j’en passe !’’, a-t-il fulminé. Et d’ajouter : ‘’Oui, la corruption a depuis quelques années franchi les murs de notre citadelle, fragilisant davantage la respectabilité de ses acteurs. Le manque d’indépendance la politisation à outrance de la magistrature lui ont asséné le coup de grâce’’. Selon lui, ces derniers temps les affaires de corruption et d’indélicatesse de toutes sortes au sein du milieu judiciaire ont choqué et gravement décrédibilisé l’institution. ‘’Et le traitement partial dont font l’objet ces dossiers a davantage discrédité la robe’’, a poursuivi Me Kadri. Le Secrétaire général du Saman, quant à lui, s’est beaucoup appesanti sur les conditions de traitement et de travail des magistrats, pour justifier les griefs reprochés à l’institution judiciaire. Ces conditions, qui sont loin d’être reluisantes, se résument essentiellement au revenu des juges mais aussi à l’insuffisance des moyens de fonctionnement de la justice, qui faille améliorer pour une meilleure efficacité du système. Ce sont des préoccupations réelles qui ne sauraient être niées, selon le président Bazoum qui a d’abord de l’importance d’une justice véritablement indépendante dans un contexte démocratique, avant de situer la place qu’il accorde à l’institution dans son programme politique. ‘’Je me suis engagé à travers ce programme à apporter des réponses aux principaux défis auxquels notre justice est confrontée, en faisant une justice de qualité, plus efficace, plus équitable et plus accessible au citoyen. Je me suis aussi engagé à lutter résolument contre la corruption en milieu judiciaire’’, a clamé Bazoum, soulignant les efforts entrepris ces dernières années par le gouvernement pour atteindre ces nobles objectifs.
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La part des choses
Si le président Bazoum Mohamed admet volontiers toutes les tares ci-dessus énumérées qui minent le fonctionnement sain de notre système judiciaire ; s’il admet aussi que les efforts fournis jusqu’ici sont loin d’être suffisants pour mettre totalement les juges à l’abri de toute forme de tentation, il n’a pas manqué non plus de situer la responsabilité individuelle de ces derniers dans ce dysfonctionnement de l’institution. Pour lui, le traitement salarial du magistrat nigérien est très appréciable comparé à celui des autres fonctionnaires de l’Etat mais aussi n’a pas grand-chose à envier à celui dont bénéficie leurs collègues des pays de la sous-région. Ceci étant dit, Bazoum a tenu à mettre les pendules à l’heure, en situant la responsabilité des magistrats dans le dysfonctionnement du système et l’image répulsive que la justice a aujourd’hui au sein de l’opinion nationale.
Les attentes des justiciables
Pour le président Bazoum, ce qui est attendu du juge c’est d’abord l’impartialité, conformément à la disposition de l’article 118 qui stipule : ‘’ans l’exercice de leurs fonctions, les magistrats sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi’’. ‘’Il s’agit en l’espèce d’affirmer l’indépendance du juge consacrant ainsi le primat de sa conscience. Mais pour que le juge soit véritablement libre et toujours apte à ne référer qu’à sa conscience pour agir, il doit pouvoir jouir d’un statut valorisé mettant son autorité à l’abri des facteurs d’influence corruptive’’, a-t-il reconnu, d’où les efforts de l’Etat pour faire droit à bien des revendications du syndicat des magistrats. Ce qui a permis à ceux-ci de bénéficier de traitements relativement décents. Mais pour Bazoum, le tout n’est pas pour le juge de disposer d’un pouvoir, de déclarer ce pouvoir indépendant. Encore faudra-t-il qu’il fasse preuve d’un effort personnel pour donner à l’éthique et à l’indépendance du pouvoir judiciaire tout son sens. ‘’C’est à ce travail sur soi que je vous appelle afin que vous assumiez pleinement votre rôle de juge, celui d’appliquer la loi, telle qu’elle est, sans autre considération’’, a-t-il exhorté, expliquant la signification du logo qui symbolise la justice. ‘’Le juge est impartial, et son jugement doit être le même qu’il s’agisse d’amis ou d’ennemis, de puissants ou de faibles, de riches ou de pauvres. Tous ceux auxquels s’applique la même règle doivent être traités de la même façon, quelles qu’en soient les conséquences’’. En clair, pour Bazoum, le juge n’est pas au service du pouvoir qui l’a nommé, il est au service de la justice. Une façon de signifier aux magistrats qu’ils sont seuls responsables des décisions qu’ils prononcent. Espérons que le message est bien perçu.
Ces pratiques malsaines à éradiquer
Pour le président Bazoum, cette responsabilité doit être pleinement assumée au niveau des différents maillons de la chaîne judiciaire, par ‘’les chefs des juridictions dans leur rôle de contrôle hiérarchique, les services de contrôle et d’inspection, tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir dans le fonctionnement de notre système judiciaire, à s’investir davantage pour mettre fin à certaines pratiques qui n’honorent pas notre système judiciaire’’. Ces pratiques ont pour noms : pénalisation délibérée des infractions civiles à des fins de clientélisme, retard excessif dans le traitement des affaires judiciaires, refus de rédiger les décisions de justice dans le délai qui sont autant des pratiques assimilables à un déni de justice. Pour y mettre fin, Bazoum a promis désormais des sanctions à l’encontre des auteurs de ces pratiques. Beaucoup de Nigériens ont apprécié ce discours du président de la République sur la justice, qui renvoie la balle dans le camp des magistrats. Il revient à ces derniers de s’assumer en affirmant leur indépendance à travers les décisions qu’ils viendront à prendre désormais. Et en cas de tentative d’immixtion de l’Exécutif dans leur travail, qu’ils aient le courage de sortir publiquement pour le dénoncer. C’est en cela que les Nigériens sauront si Bazoum est sincère dans ses propos ou c’est juste un discours pour amuser la galerie.
O.I