L’histoire de Mohamed Bazoum et du Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN) ne date pas, sans doute, de ces derniers jours, mais remonte plus loin que cela dans le temps. C’est une histoire aussi complexe comme celle relative aux rapports entre la poule et l’oeuf, celle de savoir qui a précédé l’autre. L’on se rappelle sans doute les sorties médiatiques au vitriol du SAMAN contre les Ministres Bazoum et Hassoumi Massaoudou dans le premier Gouvernement de Brigi Rafini, en 2013, lorsque respectivement, ces derniers occupaient les portefeuilles ministériels des Affaires Etrangères et de l’Intérieur, pour avoir émis quelques critiques à l’encontre de certaines décisions judiciaires. Depuis cette époque, le SAMAN en voulait à mort à ces deux supers ministres du régime d’Issoufou Mahamadou. Malheureusement, pour ce syndicat, c’est l’un de ses pires pourfendeurs publics qui a été porté à la magistrature suprême du pays, à savoir Mohamed Bazoum ! Une scène purement kafkaïenne, la rencontre des paradoxes ! Après des débuts d’accalmie, somme toutes plus protocolaires qu’autre chose, chasser le naturel, il revient toujours au galop, enseigne un proverbe français ! En effet, les hostilités semblent avoir repris, ces derniers temps, avec la dernière sortie médiatique du SAMAN qui était monté au créneau, dans une déclaration publique, pour déclarer la guerre contre le président Mohamed Bazoum que les hommes en toge noire accusent de porter, régulièrement, le discrédit et l’opprobre sur la Justice. En tout état de cause, les Magistrats du Niger n’en peuvent plus de supporter les déclarations intempestives et hors-sol du premier magistrat du pays en livrant les juges à la vindicte populaire sur la base de fuites en avant et autres inconséquences politiques pourtant criardes. Pour le SAMAN, c’en était de trop de faire porter à la seule Justice le chapeau de la responsabilité tous les grands maux qui minent le Niger contemporain, comme celui de la corruption.
Bazoum et ses illusions perdues en matière de Justice
L’attitude cavalière du président Bazoum à l’endroit de la Justice peut paraître surprenante, scandaleuse, voire suicidaire, au finish.
En effet, l’on s’étonnera encore longtemps de cette obsession morbide du chef Mohamed Bazoum pour une justice idéale, parfaite, quand l’on sait, par ailleurs, comment lui-même avait pu accéder à la Présidence de la République. Ça, c’est un ! Ensuite, tout le monde connaît la nature profonde du système politique actuel mis en place par le régime de la renaissance dont lui-même Bazoum est un produit fini ; un système mafieux qui n’hésite guère à tordre le cou aux règles et principes pour atteindre ses fins politiques. En effet, le régime de la renaissance aura battu tous les records nationaux en matière de scandales politico-financiers, en l’espace seulement d’une décennie, dont le dernier en date est celui du Ministère de la Défense Nationale toujours demeuré impuni. L’on se demande parfois où se trouve le président Bazoum quand il se complaît seulement à stigmatiser les carences judiciaires tout en essayant de protéger des personnes mises en cause par certaines institutions de contrôle nationales comme la HALCIA, la Cour des Comptes ou encore les Inspections d’Etat ou de finances. Comment est-ce que ces responsables sont conservés dans son Gouvernement, des ministres comme Rabiou Abdou, l’actuel ministre du Plan, ancien Directeur Général de la BAGRI empêtrée, aujourd’hui, dans un scandale de détournements de deniers publics, dont les signes avant-coureurs étaient apparus sous la gestion de celui-ci ? Comble de l’ironie, le président Mohamed Bazoum, à l’occasion de la présentation du PDES, à Paris, en décembre 2022, va lui jusqu’à tresser à son ‘’Gagéré mal illimi’’ des lauriers sur la tête, en lui attribuant la paternité du document présenté aux bailleurs de fonds ! En dehors d’Ibou Karadjé et de Hama Zada, présentés comme des trophées de guerre contre la corruption, quel bilan pour le régime de la renaissance Acte III dans la lutte contre ce fléau social ? C’est ce président qui veut s’en prendre aux magistrats dans la persistance de ce phénomène social au Niger, pendant qu’il affiche une indifférence, voire une complaisance vis-à-vis de son clan politique impliqué dans d’innombrables impairs. Quelle inconséquence de sa part ! Quelle myopie coupable ! Quel manque de respect aux citoyens nigériens auxquels il avait promis de rétablir la justice sociale et la fin de l’impunité !
Oui à l’indépendance de la magistrature, mais non au corporatisme du SAMAN
Il est certain que le corps judiciaire ne saurait à lui seul porter l’entière responsabilité de la déliquescence sociale et politique du Niger contemporain, car c’est tout un ensemble de causes et facteurs divers qui y concourent à proportions variables. La crise contemporaine de la Justice nigérienne constitue sans doute un obstacle majeur à la construction d’un Etat de droit dont l’institution judiciaire serait le premier garant. Or, pour prétendre à l’instauration d’un véritable Etat de droit au Niger, seule l’indépendance de la magistrature offrira cette garantie ultime aux justiciables nigériens, une indépendance véritable vis-à-vis du pouvoir politique ou de tous autres groupes de pressions. Le Juge ne doit être alors soumis qu’à ce que l’on appelle l’imperium de la loi et à celle de sa conscience. Cependant, l’indépendance de la Justice doit s’accompagner d’une éthique personnelle du Juge, fondée sur des grandes vertus morales de droiture.
Malheureusement, aujourd’hui, comme le disait Voltaire, «de certains magistrats, on ne salue que la robe» ! En effet, que dire ou penser de magistrats qui détournent des biens successoraux en litige dont ils ont eu le séquestre judiciaire ? C’est en cela que le SAMAN doit aussi commencer par balayer, d’abord, devant sa propre devanture. Mais, comme chaque profession a ses soldats perdus, les fautes des uns ne doivent pas être généralisées aux autres, en vertu du principe de l’imputabilité personnelle !
Amadou Maiga