Dans cette lettre, Hassoumi Massoudou, qui est, lui-même, le maître d'ouvrage d'une autre "gate" (uraniumgate), relevait, notamment, (1) l'usage du faux et des données erronées ayant servi de base à la signature du contrat ; (2) le non-respect de l'ensemble des dispositions du cahier des charges ; (3) un impact non avéré du système sur les rendements des recettes. C'est sur la base de ces trois éléments que Hassoumi " a demandé au directeur général de l'Autorité de régulation des télécommunications et de la poste (Artp) de prendre les dispositions urgentes qui s'imposent afin de notifier la résiliation dudit contrat à la société Wallgates ". Là, s'arrêtent les affaires juteuses de Daniel Mukuri et de ses "amis nigériens". Poursuivi par l'État, Daniel Mukuri croupit aujourd'hui à la Prison civile de Niamey où il médite sur son sort. Sur son sort, mais aussi sur l'ingratitude et la déloyauté dont il est victime, après tant de bons et loyaux services, de la part de ses "amis nigériens". Une triste fin de parcours qui remonte à juillet 2015 où, par lettre adressée au ministre des Finances, Abdallah Tefridj, le tout premier président-directeur général de Mach-Agitech Niger, expliquait les aberrations de ce dossier sulfureux impliquant certaines personnalités qui avaient constamment joué au " juge et partie " dans cette affaire qui a coûté très cher au Trésor public nigérien. Quatre constats graves méritent d'être relevés dans la note, très instructive, d'Abdallah Tefridj. Premièrement, l'État a été grugé (par fraude fiscale) de plusieurs centaines de milliards par les sociétés de téléphonie cellulaire. Deuxièmement, des cadres nigériens, voire des personnalités politiques de haut rang, se sont rendues complices de l'escroquerie de Wallgates. Troisièmement, la justice, mise à contribution, n'a pas été constante dans ses prises de décisions. Quatrièmement, la Direction générale des impôts (DGI) a été tenue à l'écart du processus de recouvrement fiscal et remplacée par d'autres responsables non habilitées par la loi et qui " auraient transigé, non seulement, sur les pénalités, mais aussi sur les droits compromis ". Ce dernier aspect est la trame du "Wallgate", ce scandale continu qui, du contentieux entre Wallgates et la Cbao à la bizarre conciliation judiciaire près le Tribunal de première instance Hors classe de Niamey, en passant par l'ordonnance condamnant Wallgates aux dépens, a saigné les finances publiques, dans une sorte d'entente gagnant-gagnant qui exclue toutefois l'État. Comme toutes les "gates" qui, en l'espace de six années de gestion cahoteuse, ont ruiné l'État, le "Wallgate" est une autre sale affaire dans laquelle le Niger a été grugé de plusieurs milliards de francs CFA. Wallgates ne présage-t-elle pas, par le nom déjà, la nature scabreuse de ses activités ? Créée par Salifou Diallo, actuel président de l'Assemblée nationale du Burkina Faso et proche ami de Mahamadou Issoufou, Mach-Agitech Niger devint par la suite, à l'issue d'un tour de passe-passe, Wallgates ; une société qui a pompé des milliards et des milliards au Trésor public et dont on vient de découvrir subitement les méfaits. Ce qui est sûr, c'est que le Niger est à terre financièrement. Une situation désastreuse à laquelle Hassoumi Massoudou (le même qui a transféré les 200 milliards de la Sopamin sur un compte bancaire à Dubaï) cherche désespérément une solution. C'est dans le cadre de cette mission hautement délicate et certainement vouée à l'échec, que Hassoumi a jeté un coup d'œil sur ce contrat jugé léonin par les experts de la chose et qui a permis à Salif Diallo de se sucrer à volonté avant de laisser derrière lui, un Niger empêtré dans de graves problèmes financiers.
Le pouvoir légal de contrôle fiscal, du recouvrement des droits compromis ainsi que l'opportunité ou non de toutes transactions fiscales, est dévolu exclusivement à la DGI.
Le 14 juillet 2016, la Cbao [Ndlr : Commission bancaire de l'Afrique de l'Ouest] vient de remporter un procès contre Wallgates dont les responsables lui doivent des créances restées longtemps impayées. Le Président du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, Maï Moussa Elh Bachir, signe ce jour-là, une ordonnance autorisant la CBAO à pratiquer des saisies conservatoires sur tous les biens appartenant aux époux Mukuri Maka Josué Daniel Bomono et Danielle Prudence Désirée ainsi qu'à la société Wallgates S.A. pour non paiement de sa créance que la CBAO dit avoir évalué provisoirement à la somme de 293 500 000 FCFA en principal sans préjudice des intérêts et frais de recouvrement. Le 10 août 2016, lorsque maître Abdou Chaïbou, huissier de justice agissant au nom et pour les intérêts de la CBAO, a adressé à la société Wallgates une signification de la requête et de l'ordonnance d'injonction de payer n° 83/PTGI/HC/NY/16 en date du 1er août 2016, rendue par le Vice-président du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, il était déjà trop tard. D'autres personnes, mues par des préoccupations et motivations…, ont commencé à dérouler un autre agenda. Wallgates, condamnée aux dépens, sur la base de plusieurs décisions de justice, à payer à la CBAO au total 328 451 500 FCFA, fera un pied de nez aux responsables de la banque. Deux jours avant la signification de la requête et de l'ordonnance d'injonction, soit le 8 août 2016, la société Wallgates représentée par son directeur général, Daniel Mukuri Maka José Bomono, assisté par maître Yaro Zileto Daouda, avocat à la Cour, assignait l'État du Niger, représenté par le Secrétaire général du Gouvernement, Gandou Zakara, assisté de maître Yacouba Mahaman Nabara, avocat à la Cour, devant la justice. La préoccupation des deux parties était, curieusement, de trouver un accord amiable. Ce qui fut fait par devant Maï Moussa El Hadj Bachir, Président du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, assisté de maître Idrissa Rabo, Greffier en Chef près ledit Tribunal. Suivant le préambule de cette conciliation judiciaire, l'État du Niger aurait accumulé des arriérés de plus de huit milliards 200 millions dus à Wallgates, la société de Salifou Diallo. À l'article 1er, portant reconnaissance de dettes, l'État du Niger reconnaît irrévocablement devoir à la société Wallgates au titre des gains additionnels et cumulés (TVA, TTIE, ISB, etc.) la somme de 4 871 816 169, 66 FCFA. La conciliation prend également en compte " les créances dues par l'État du Niger à la société Wallgates au titre des prestations citées à l'article 1er, pour l'année 2015 et le premier semestre 2016 et ceux à venir jusqu'à totale apurement de la dette ". Il est rapporté dans le document que les montants ont été certifiés par l'Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) de l'année 2015 et du premier semestre 2016. Le problème n'est pas là. Le problème se trouve dans la voie suivie pour régler ce litige sur lequel il y a beaucoup à dire. Comment se fait-il que le même Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey condamne Wallgates aux dépens, le 14 juillet 2016, et consent néanmoins à faire une conciliation judiciaire, le 8 août 2016, soit un mois après, qui contraint Airtel à payer directement des impôts légalement dus à l'État du Niger, à la société Wallgates ? Or, du point de vue légal, le pouvoir légal de contrôle fiscal, du recouvrement des droits compromis ainsi que l'opportunité ou non de toutes transactions fiscales, est dévolu exclusivement à la DGI. Pourquoi alors Gandou Zakara, investi de la mission régalienne de veiller sur les intérêts de l'Etat, a-t-il accepté de conduire cette transaction douteuse ? Dans sa note au ministre des Finances, Abdallah Tefridj a notamment indiqué que " Le droit d'exercice qui justifie le contrôle fiscal est une faculté appartenant exclusivement à l'administration fiscale, seule dotée de cette mission régalienne et de pouvoirs exorbitants du droit commun ". Certes, le Tribunal de première instance hors classe de Niamey ne peut expliquer, encore moins justifier la conciliation qui a permis aux époux Mukuri Maka Josué Daniel Bonono et la société Wallgates de se jouer de la CBAO et de capter directement des impôts dus légalement à l'État du Niger. Que dire alors de ces représentants de l'État qui ont manipulé pour dessaisir l'État de ses impôts au profit d'un créancier douteux, avant que les montants en question aient été encaissés par le Trésor public ?
Une conciliation boiteuse qui donne tout à Wallgates au détriment de l'État
Pour se faire payer ces milliards, Wallgates et ses "amis nigériens" ont assigné l'État du Niger en justice. Le comble pour un homme recherché par la police d'un pays ami et partenaire du Niger. Et en guise de conclusions de cette conciliation judiciaire, il est entendu que " L'État du Niger s'oblige, autorise et donne pleins pouvoirs à l'opérateur de téléphonie, Airtel Niger, pour payer expressément et de façon irrévocable à Wallgates, selon une clé prédéfinie, le montant mensuel de 950 000 000 FCFA ". Il est précisé que Airtel paiera expressément et irrévocablement, au plus tard tous les 15 du mois en cours ". Pour camoufler cette violation de la loi qui veut que l'impôt soit incessible, il est décidé que " ce paiement interviendra au même moment que les paiements des taxes (TVA, TTIE, ISB, TURTEL) à l'État du Niger auprès de la Direction générale des impôts (DGI). Subtilité inutile qui ne dédouane pas les auteurs d'avoir manœuvré pour détourner des impôts dus à l'État du Niger à la source sans qu'ils aient été encaissés préalablement par le Trésor public. Et pour être assuré d'empocher ses sous sans courir le moindre risque, Wallgates obtient qu'il soit mentionné dans l'ordonnance que " Ledit paiement se fera irrévocablement par chèque certifié au nom de Wallgates au plus tard le 15 du mois en cours ". Mieux, pour couvrir ses arrières et se mettre à l'abri de toutes procédures judiciaires éventuelles, il est écrit que " la présente compensation vaut paiement effectif des impôts et taxes concernés " et que " de ce fait, aucune poursuite ne peut être engagée par l'État du Niger ou ses représentants à l'encontre des opérateurs de téléphonie mobile pour exiger un quelconque paiement ultérieur des montants compensés ". Voilà ce qui est rassurant pour tout le monde. Wallgates s'en sort avec, non seulement l'assurance d'être payée, mais, cerise sur la gâteau, avec aussi la tranquillité de ne plus accumuler d'arriérés. L'article 4 indique ainsi que, " après apurement ou paiement de la dette certifiée, un prélèvement de 400 000 FCFA par mois sera effectué auprès de Airtel Niger pour les paiements en cours dans le cadre de l'exécution du contrat jusqu'à son terme. Les facilités accordées à Wallgates ne s'arrêtent pas là. Un avenant au procès-verbal sera, souligne le document, notifié à Airtel Niger pour acter le changement du montant à payer mensuellement à Wallgates. Pour ne rien faire au hasard et rassurer davantage Daniel Mukuri Maka José Bomono et ses "amis nigériens" qui entendaient s'entourer de toutes les garanties possibles, un comité d'évaluation a été mis en place. Comprenant le Contentieux de l'État, l'ARTP et Wallgates, ce fameux comité a pour mission de certifier les factures au titre de la rémunération due et éventuellement de la réévaluation des forfaits. La palme de cette conciliation judiciaire rocambolesque, c'est que l'article 9 stipule que " les opérateurs de téléphonie mobiles (Airtel Niger) qui ne feront pas les paiements dans la forme et dans le fond tel que précisé à l'article 5 verront appliquer les sanctions telles que définies à l'article 948 du Code général des impôts et 10% de pénalité de retard sur les sommes impayées envers la société Wallgates ". Cette mascarade, qui mettait l'Etat nigérien dans une posture délicate où il se voit contraint de céder des droits hors de compréhension à Wallgates, a été carabinée en présence de Gandou Zakara qui, de par ses fonctions, est pourtant chargé de veiller aux intérêts de l'État.
Les "amis nigériens" de Wallgates auraient-ils lâché la poule aux œufs d'or ?
L'interpellation, puis l'incarcération de Daniel Mukuri, est une grosse surprise et le contenu de la conciliation judiciaire faite auprès du Cabinet du président du Tribunal Hors classe de Niamey, plus que favorable à Wallgates, le prouve amplement. Cette belle assurance avec laquelle Wallgates et ses "amis nigériens" ont saigné les finances publiques, ressort d'ailleurs dans une lettre que Daniel Mukuri a adressée au ministre des Finances et dans laquelle l'intéressé a formulé des menaces à peine voilées à l'encontre de ceux qui voudraient se mettre en travers de leur chemin. Dans cette lettre, il écrit que " Wallgates pourrait faire application contre les contrevenants à cette décision des dispositions de la loi n°2003-25 du 13 juin 2003 (article 196-1 du Code pénal) en son article 1er qui stipule que " Quiconque aura résisté ou tenté de résister à l'exécution d'une décision de justice devenue définitive ou exécutoire sera puni d'un emprisonnement de trois à deux ans et d'une amende de 10 000 francs à 100 000 francs ". En outre, il dit souhaiter ne pas en arriver à ces extrémités et de demander à Saïdou Sidibé de bien vouloir croire au sérieux de ses menaces. Qui, donc, sont ces puissants "amis nigériens" de Wallgates pour que Daniel Mukuri se conduise avec tant d'outrecuidance au Niger alors qu'il est recherché par Interpole Belgique ? Comment est-ce possible que pour contourner la CBAO et ne pas lui payer ce qu'elle lui doit légalement, Wallgates ait réussi à mettre la justice de son côté pour se faire payer par l'État du Niger sans risquer de voir ses avoirs saisis par la CBAO ? C'est bien ce qui s'est passé entre l'État du Niger et Wallgates, par l'entremise du Cabinet du Président du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, sous la supervision et le plein accord de Gandou Zakara. La menace ainsi agitée, doublement financière et pénale, est de nature à enlever à Airtel toute idée de traîner les pieds. Il semble, selon le document de conciliation judiciaire, que les parties se sont déclarées satisfaites des clauses, c'est-à-dire que Gandou Zakara, représentant de l'État, a estimé que c'est juste, légal et bénéfique pour l'État. C'est sur la base de cette déclaration que Maï Moussa El Hadj Bachir les a déclarées conciliées et a signé le procès-verbal devant sanctionner cet accord. C'est donc l'État du Niger, à travers ses institutions, notamment le Secrétariat général du " facilitateur " Gandou Zakara, le Contentieux de l'État de Ibro Zabèye ainsi que le Cabinet du Président du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, qui ont aidé Wallgates à dessaisir le Trésor public d'énormes ressources financières, directement versées par Airtel Niger. C'est une privatisation de l'État au profit d'intérêts partisans.
Aujourd'hui, l'histoire de Wallgates prend fin et Daniel Mukuri se retrouve derrière les barreaux pour usage de faux et de données erronées ayant servi de base à la signature du contrat, non-respect de l'ensemble des dispositions du cahier des charges ainsi qu'un impact non avéré du système sur les rendements des recettes. Mais ses "amis nigériens" sont libres, tranquilles et ravis de leurs gains. En attendant, peut-être, une autre "gate" et des millions à engranger.
Laboukoye
07 avril 2017
Source : Le Courrier