I La politique sous les tropiques est un jeu d’enfants dominé par les rancoeurs et les haines, un espace de pugilat où l’on se brutalise, se violente, une arène où l’on s’abandonne à son humanité pour exalter la part d’animalité endormie en l’homme et vivre la politique non plus humainement, mais dans l’aigreur bestiale à travers une lutte qui se mène sans concession. Depuis que la démocratie est venue, les hommes n’étaient plus capables de civiliser la politique, de lui donner un contenu humain et humaniste. L’échiquier devenait alors une jungle, où se servant du pouvoir et de ses moyens et notamment de la force publique, mais aussi de la justice qu’on instrumentalise et inféode au pouvoir exécutif, l’on règne sur les autres, en potentat confirmé. Au Niger et au Sénégal, l’on donnait ce spectacle piètre parce que les hommes, finalement, n’étaient plus capables de convaincre par les actes et par la noblesse de leur parole, en donnant positivant la politique dont l’essence est de servir l’homme, non de lui nuire. Si les présidents nigérien et sénégalais ont tous deux joué sur cette acception assez réductrice de la politique qui veut, comme le suggère souvent Machiavel, de torturer l’autre pour qu’il prenne conscience des forces et des capacités de nuisance d’un gouvernant, il reste que pour l’un, cette option devait être une constance alors que pour l’autre, l’on ne devait s’en servir que conjoncturellement.

Wade-Macky Sall : quand le mouridisme réconcilie des adversaires

Macky Sall est comme un disciple d’Issoufou Mahamadou : prenant exemple sur les pratiques du socialiste nigérien inspirées des régimes bolchéviques, pour dominer le champ politique sénégalais, il avait eu besoin, lui aussi, de se servir de la justice pour brimer et anéantir des adversaires. Pourtant, ce pays en Afrique francophone, est la plus vieille démocratie, celle qui aurait pu servir de modèle aux africains se réclamant de l’héritage colonial français. Mais le nouveau président sénégalais qui succéda à Abdoulaye Wade n’avait pas su incarner le grand héritage laissé par Abdou Diouf et Léopold-Sédar Senghor dont sont fiers le peuple sénégalais car chacun de ses deux hommes, sans jamais se laisser griser par le pouvoir, n’en font pas une fin en soi, et ils avaient compris, par humilité, qu’avoir la charge de diriger n’est un accident de l’histoire, souvent même une erreur de parcours, toute chose qui commande de l’exercer dans la modestie et dans le respect à qui on le doit en démocratie. Les Africains n’étaient qu’écoeurés par cette politique de la rancune et du règlement de compte de la nouvelle élite, incapable de s’accommoder des principes de la démocratie.

Se servir du pouvoir pour écraser des adversaires… C’est presque à la nigérienne, comme s’il venait de l’école des guristes nigériens, que le président sénégalais, avait placé dans son viseur l’enfant de son prédécesseur, Karim Wade, l’envoyant en prison, non sans indigner l’opinion internationale, agissant contre les valeurs morales de nos sociétés, portant ainsi un coup grave à une démocratie qui est l’une des plus apaisées de la sous-région. L’enfant payait pour l’adversité avec le père ? Puis, ce fut le tour d’un ancien partenaire politique, l’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, perçu peut-être comme une menace potentielle pour lui, qui devait être dans le viseur de la machine à broyer de Macky Sall. Malgré le tollé que la persécution dont il a fait l’objet avait soulevé, le régime avait persisté, se servant de la justice de son pays comme machine répressive pour taire toute opposition en anéantissant toutes les voix fortes qui la portent. C’est du reste, la même technique inaugurée par les socialistes au Niger depuis que, par les faveurs d’une transition militaire, ils accédèrent aux hautes fonctions de l’Etat. Jamais au Niger, un régime n’a autant enfermé des citoyens dans des conditions aussi troubles comme l’ont fait les camarades nigériens. Combien sontils les prisonniers politiques depuis 2011 ? Le socialisme était venu pour rabaisser notre démocratie. Ils n’épargnent aucune voix discordante : journalistes, acteurs de la société civile, opposants, etc. Et dire qu’on est en démocratie !

Après avoir célébré Hama Amadou comme un homme d’Etat hors pair, le régime se mit à le combattre, depuis qu’il avait décidé de se retirer de l’alliance, arguant qu’il ne pouvait pas aller dans une alliance où l’on a aucun respect pour un partenaire politique, une alliance dans laquelle l’on n’a que du mépris pour un autre, ne requérant jamais son avis, pensant même qu’on peut décider à sa place et notamment à choisir dans son parti, les hommes et les femmes qui doivent assumer, dans le cadre d’un partage de rôle, des responsabilités. Après avoir tenté sans succès de diaboliser son ancien allié grâce auquel, il eut la chance d’accéder au pouvoir après plus de deux décennies de tentatives vaines, Issoufou Mahamadou, lorsqu’après tant d’efforts déployés pour l’écarter de la course, les Nigériens finirent par le lui imposer comme challenger au second tour des élections de 2016, même lorsqu’il se résout à l’emprisonner pour aller seul aux élections, connaissant sa capacité de mobilisation dans un Niger où sa popularité ne s’est jamais démentie, il finit par se contenter de son exil comme moindre mal pour gouverner tranquillement parce que celui que son système craint le plus, vit loin du pays pour ne pas souffrir de sa présence même en tant qu’opposant dans le champ politique. Et depuis, la situation ne fait que s’empirer, avec depuis des années une situation politique exécrable. Alors que la situation se dégrade de jour en jour, au lieu d’en prendre toute la mesure pour avoir le geste qui apaise, Issoufou et son petit monde, se cachent derrière un discours qui ne fait plus recette : une histoire d’une main tendue qu’il ne cesse de ressasser alors que personne ne peut l’entendre, doutant bien de la sincérité d’une telle volonté surtout quand on sait que dans la même position, il a toujours refusé de saisir une main qui lui est tendue, prétendant que cela relève d’une «escroquerie politique».

En politique les actes comptent plus que les paroles…

Il est donc difficile de croire le magistrat suprême nigérien sur ses paroles et l’on se demande bien pourquoi faire l’unanimisme autour de lui alors qu’on ne devrait en être capable autour d’un autre en saisissant une main tendue ? Il y a donc pour lui à aller au-delà des discours pour poser des actes qui rendent compte de la pertinence et surtout de la sincérité de sa vision. Comment d’ailleurs le croire quand après toutes les dénonciations de cas avérés d’injustice, il continue à se morfondre derrière une prétendue séparation des pouvoirs qui n’est vraie que pour écraser des mal-pensants, ne serait-ce qu’au nom de valeurs qui l’auraient conduit en politique pour cultiver la tolérance, le pardon et la justice équitable. Il ne peut, pour faire valoir l’Etat de droit, mettre fin à des persécutions qui n’ont de fondement que des considérations politiques, fier finalement que des hommes souffrent de la «force» de son pouvoir. Chez son disciple sénégalais – peut-être parce qu’il a mal saisi la leçon – plus habité par un certain humanisme et peut-être une foi sincère, on semble lever le pied sur l’accélérateur pour tenter de décrisper la situation en créant les conditions d’une réconciliation entre Sénégalais. Depuis des jours, un vent nouveau souffle sur le pays de la Téranga où les hommes semblent désormais mettre en avant l’intérêt du pays qui passe d’abord et forcément par la cohésion sociale qui n’est pas tant que l’on ne peut pas aller à la tolérance, au pardon mutuel que des principes du vivre-ensemble peuvent dicter.

Le prétexte de la foi…

C’est à l’occasion d’une rencontre d’une des plus grandes confréries du pays, à l’inauguration notamment d’une grande mosquée, que les Sénégalais étaient surpris de voir assis, au-devant de l’événement, au milieu d’Ulémas du pays, l’ancien président sénégalais, Me. Abdoulaye Wade et son successeur, Macky Sall. L’image était sans doute trop belle pour être réelle et pourtant il s’agit bien d’une image vraie. Des hommes se sont surpassés à dominer leurs ressentiments pour accepter pour l’intérêt de leur nation et de sa cohésion, à déposer des haines pour réapprendre à s’aimer. Il est clair qu’il aurait fallu que chacun des acteurs se fasse violence pour faire ce pas déterminant qui rapproche l’un de l’autre et en même temps qui rassure l’autre. Il n’aurait pas seulement fallu d’être des musulmans pour rendre possible cette réconciliation qui réveille le peuple sénégalais de ses doutes et de ses peurs pour l’avenir. On ne peut donc que saluer ce dépassement de soi qui rend à l’homme son humanité et sans doute aussi son humanisme. Et depuis que cette image a passé sur les réseaux sociaux, au Niger, bien d’internautes se demandent si pareil geste pourrait être possible dans leur pays. Quand, enfin, se demande-t-on, les hommes politiques nigériens, peuvent accepter de s’assoir pour se regarder et se parler en taisant leurs différends ? Les Nigériens ne peuvent-ils pas être capables d’une telle élévation ? Ou bien, faut-il croire que ce qui peut servir de prétexte à un tel surpassement de soi, ne soit pas si fort au Niger ? Notre foi, ne peut-elle pas permettre d’avoir le courage de marcher l’un vers l’autre pour enfin libérer les Nigériens de cette atmosphère lourde qui pèsent sur leur tête depuis des années que le dialogue est devenu impossible depuis que les socialistes ont réussi l’exploit d’opposer les Nigériens ?

Au Sénégal, la paix avance à grand pas, au Niger la situation se raidit…

Après ces gestes magnanimes, le président sénégalais, allant au-delà des discours – lui parle peu d’ailleurs contrairement au nôtre qui ne rate aucune occasion pour parler – pose des actes pour davantage rassurer son peuple que le pays est dans une nouvelle dynamique, car malgré les divergences politiques, le pays a besoin de chacun de ses enfants. Comment ne pas le dire, quand à l’annonce de l’amnistie qui sort de prison après deux années et demi d’incarcération l’ex maire de Dakar et un certain nombre d‘acteurs politiques, un peuple est sorti et a jubilé, extériorisant sa joie, pour croire qu’enfin, la réconciliation est en marche non pas que pour s’entendre, mais pour s’aimer dans la différence, ce d’autant que la démocratie donne à chacun le droit de vivre pleinement sa différence tout en acceptant celle de l’autre. Au Niger, la situation se pourrit et bien d’observateurs restent sceptiques quant aux chances d’apaisement de la situation politique délétère. Est-il d’ailleurs possible, ainsi que l’appelle de ses voeux le président de l’Assemblée Nationale du Niger, que les Nigériens puissent de leur seule initiative, aller à l’apaisement et à la réconciliation et poser par la tolérance les bases d’une paix durable. Le rêve, est-il possible pour les Nigériens ?

Macky Sall a tracé un chemin et peut-être que le Niger peut regarder du côté du Sénégal pour s’en inspirer. Et le Maître peut aller à l’école du disciple...

Gobandy

11 octobre 2019
Publié le 02 octobre 2019
Source : Le Monde d’Aujourd’hui