Du président de la République, chef de l’État, Issoufou Mahamadou

À tout seigneur, tout honneur, le Président Issoufou Mahamadou a indiscutablement la plus grosse part de responsabilité. Président de la République, chef de l’État, chef suprême des armées, président du conseil de la Magistrature, il est notamment le garant de l’unité nationale. De ce point de vue, sa responsabilité est non seulement engagée, mais elle est à la fois entière, totale et incessible. Dans le cas du dialogue politique nationale, et eu égard aux enjeux réels, il ne peut ni se retrancher derrière un Premier ministre dont on connaît par ailleurs les limites objectives, ni tergiverser, encore moins louvoyer. S’il joue franc jeu, le dialogue sera couronné de succès. Et si le dialogue s’embourbe, il n’y a pas lieu de chercher ailleurs, la main qui est derrière. Car, l’échec peut provenir autant d’éventuelles manipulations de conscience de sa part que de son indifférence vis-à-vis du dialogue politique. Sa partition est de faire en sorte que les pourparlers soient couronnés de succès. Et pour convaincre de sa bonne foi tout autant que pour fertiliser le terreau sur lequel doit germer le dialogue, le Président Issoufou doit nécessairement parler aux Nigériens, dans un message à la nation. Il doit se convaincre d’une chose :si le dialogue aboutit à un consensus, c’est lui ; s’il échoue, c’est lui.

De Brigi Rafini, Premier ministre et président du Conseil national de dialogue politique

Premier ministre et président du Conseil national de dialogue politique (CNDP), il est le porteur de mission ; autant dire le fusible qui saute pour protéger le président de la République. Il a déjà accepté maintes fois ce sacerdoce, vivant dan sa chair le martyr d’un homme qui a accepté d’honorer la confiance placée en lui par le Président Issoufou jusqu’à poser des actes qui ont considérablement terni son image. L’année dernière encore, c’était le cas lorsque, dirigeant de tels pourparlers politiques, il s’est vu désavoué et contraint d’abandonner. À moins que, comme certains le disent, Brigi Rafini ne soit un homme totalement méconnu de ses compatriotes qui fait exactement le contraire de tout ce qu’il donne l’impression de faire. Quoi qu’il en soit, ces ultimes négociations politiques interviennent au crépuscule de sa carrière politique, particulièrement bien remplie par ailleurs. Mais, s’il est un porteur de mission, Brigi Rafini n’en est pas moins un acteur politique écouté et respecté qui dispose par ailleurs de ressources insoupçonnées pour se faire entendre. S’il est réellement engagé à conduire un dialogue politique sincère ; s’il aspire véritablement à rendre service au peuple nigérien et à la démocratie avant de s’en aller, il a les moyens de faire du Président Issoufou un soutien de taille, voire un allié pour le succès des pourparlers. En un mot, si Brigi Rafini est pour le succès du dialogue, le Président Issoufou n’en sera pas un obstacle. À l’inverse, si le Président Issoufou ne s’engage pas convenablement, c’est que Brigi Rafini joue à la diversion.

La classe politique, tous bords confondus, est désormais dos au mur, condamnée à s’entendre pour ne pas porter la lourde et infamante responsabilité d’avoir précipité le Niger dans le chaos. Mais les responsabilités ne sont ni pareilles à tous les groupes, ni partagées.

Des fronts de l’opposition

Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on. Le caractère effarouché de l’opposition, quoi que justifié, ne peut être une disposition d’esprit favorable à un dialogue. Le refrain « Nous n’avons pas confiance » doit nécessairement s’estomper pour accorder au camp du pouvoir le bénéfice du doute. L’opposition doit faire preuve d’ouverture d’esprit et considérer que, jusqu’à ce que des actes clairs soient posés pour remettre en cause le dialogue ou pour bloquer son évolution, elle n’a pas intérêt à se calfeutrer dans une position de défense ou même de méfiance excessive. Sa demande d’une implication personnelle du chef de l’Etat est, certes, de bonne inspiration car mettant Brigi Rafini lui-même à l’abri d’un désaveu de collaborateurs qui lui doivent, à tous points de vue, respect et obéissance. L’opposition doit par conséquent apprendre à faire confiance et à ne juger que sur pièce. Dans cette logique, elle doit anticiper les réactions épidermiques de certains de leurs militants, promptes à voir le feu partout afin que le dialogue bénéficie, en ce qui la concerne particulièrement, de la sérénité requise pour connaître le succès attendu.

De la Mouvance pour la Renaissance du Niger

Bloc de partis politiques de la majorité, la MRN a la responsabilité historique de lâcher du lest afin que le consensus recherché autour du processus électoral soit possible. Elle doit accepter que le code électoral soit revu et élaboré de façon consensuelle et ses dispositions soient totalement impersonnelles. Si. elle s’arc-boute à des dispositions qu’elle sait contestables et contestées, voire inadmissibles dans la perspective d’élections qu’elle veut par ailleurs transparentes et démocratiques, c’est qu’elle n’est pas disposée à dialoguer et à parvenir à un consensus. Pour servir l’intérêt de tout le monde, la loi doit rester impersonnelle. C’est pourquoi il est impératif que la MRN se départisse de sa position de pouvoir et garde à l’esprit que la roue tourne. « Aujourd’hui, tu es chasseur, demain, c’est toi la biche », disait feu Oumarou Amadou di Bonkano.

De l’Alliance pour la République

Créée par le Mnsd au lendemain de son ralliement au pouvoir, l’Alliance pour la République (APR) se veut une force politique au pouvoir sans toutefois s’apparenter à la MRN dont elle est la soeur. Pour avoir été de l’opposition durant le premier mandat du Président Issoufou avant de rejoindre le camp du pouvoir, l’APR de Seïni Oumarou représente malgré tout une sorte de tampon entre les deux blocs politiques de l’opposition et de la majorité. Elle a donc un rôle majeur à jouer dans ce dialogue politique pour un processus électoral consensuel. Si elle joue franc jeu, en mettant en avant les seuls intérêts du Niger et de son peuple, la démocratie et un processus électoral insusceptible d’engendrer des troubles, l’APR peut faire changer les choses en bien. Par contre, si elle oublie d’où elle vient et qu’elle joue la carte de la position partisane circonstancielle à défendre quoi qu’il advienne, elle va non seulement peser à faire échouer les pourparlers, mais elle se fera aussi hara kiri dans la mesure où ses partis membres n’ont pas besoin de lois tronquées ou d’institutions caporalisées pour figurer parmi les gagnants des élections à venir.

De l’Association islamique du Niger et de l’Archevêché de Niamey

Les religieux, il faut le dire d’emblée, sont face à leur conscience, mais aussi face à Dieu au nom duquel et pour lequel ils officient. Habituellement critiquée pour son indifférence, voire son effacement devant les problèmes de la nation, l’Association islamique du Niger s’est même parfois compromise à travers la conduite intolérable de certains de ses responsables qui affichent, sans état d’âme, leur appartenance politique. Si, une fois encore, elle manque de lucidité, de cran et de responsabilité au point de désigner à ce dialogue politique un militant connu du Pnds, candidat aux élections législatives au titre de ce parti, c’est qu’elle a décidé implicitement de prendre parti dans ces pourparlers. Ce serait une très mauvaise inspiration qui ternirait davantage son image. Outre qu’elle doit savoir choisir son représentant, l’Association islamique du Niger doit également jouer sa partition en tenant un discours de vérité là il le faut. La conciliation ne se fait pas dans le culte du mensonge et du parti pris. En un mot, l’Association islamique du Niger doit s’inspirer du calife général des mourides qui a scellé la réconciliation entre le Président Macky Sall et l’ancien président Abdoulaye Wade, créant du coup les conditions d’une décrispation du climat politique sénégalais, avec en toile de fond la grâce présidentielle et la libération de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall.

Quant à l’Archevêché de Niamey, qui a toujours fait preuve de plus de cran que l’Association islamique du Niger, elle doit rester fidèle à cette ligne de conduite que l’Archevêque de Kinshassa, Monseigneur Fridolin Ambongo, aujourd’hui Cardinal, a honorée en République démocratique du Congo. Il a agi et parlé dans l’unique crainte de Dieu. Au Niger, il ne s’agit, certes, pas de dire qui a tort ou qui a raison, mais de chercher à obtenir une loi électorale et des institutions chargées de piloter le processus électoral consensuelles. Si, elle reste dans ses cordes, c’est-à-dire dans la voie de Dieu, elle va nécessairement peser sur le dialogue et faciliter son heureux aboutissement.

Des organisations de la société civile et des centrales syndicales

Quant à la société civile et aux syndicats, il faut, certes, regretter le silence coupable des centrales syndicales, notamment face à la dégradation du cadre du travail, miné par la corruption et les trafics d’influence. Mais il faut garder l’espoir qu’ils feront preuve de sursaut dans ce dialogue politique qui n’autorise de la part des acteurs aucun faux-fuyant. Quant à la société civile dont la représentation a été minorée — nous n’osons dire à dessein — elle saura sans doute, malgré tout, marquer ces pourparlers de façon positive. Sa présence doit être saluée comme étant celle du peuple nigérien, épris de paix et de quiétude sociale.

Les choses sont claires. La classe politique nigérienne joue, ici, son avenir. Elle doit savoir raison garder et revenir aux normes démocratiques que le pays a connues, à quelques deux exceptions près, depuis la conférence nationale souveraine et qui ont permis de garantir des élections inclusives, apaisées et transparentes.

Laboukoye

09 novembre 2019
Source : Le Courrier