Le Niger serait-il toujours une République ?Grands commis de l’État soupçonnés d’avoir fait main basse sur des ressources publiques ou hommes d’affaires « côtés de l’époque » suspectés d’avoir grugé l’État dans des surfacturations ou d’autres forfaits de même nature, beaucoup de compatriotes se sont retrouvés à la Police judiciaire où ils ont été interpellés pour se voir signifier ce qu’on leur reproche et … tenez-vous bien, payer sur place ou être jetés en prison. Payer quoi ? On ne vous laisse aucune chance possible de contester ou même de demander des explications. Vous payez intégralement ce qu’on vous reproche ou vous atterrissez en prison.
Un vulgaire chantage digne des méthodes de régimes d’exception où celui qui gouverne impose sa loi dans les termes qu’il veut et suivant des procédures à lui. La Police judiciaire a, donc, été transformée, pour le besoin de la cause, en un tribunal d’exception où le droit s’efface pour laisser place au verdict du plus fort. Ou vous payez jusqu’au dernier franc ou on vous envoie en taule. C’est aussi simple que ça ! Telle est la dernière trouvaille d’un pouvoir qui sait parfaitement qu’il ne repose sur aucune légitimité populaire véritable. Le principe de la présomption d’innocence, déjà mis à rude épreuve dans plusieurs affaires, est carrément ignoré désormais et c’est une véritable terreur qui fait office de procédure judiciaire. Moussa Dadis Camara de Guinée a vraisemblablement fait des émules au Niger et c’est tout naturellement qu’un jour, Mahamadou Issoufou va demander que ces auditions soient retransmises en direct afin de servir de leçon à ceux qui envisageraient de se mettre en travers de son chemin.
En agissant ainsi par procuration pour le compte du Parquet qui l’instruit,la Police judiciaire semble ne pas se rendre compte des violations de la loi qu’on lui fait porter et qu’on lui imputerait inévitablement, un jour. Mettant un zèle à tout faire, dans un aveuglement maladif, la Police judiciaire agit dans un flagrant délit de violation de la Constitution, notamment en son article 15 qui stipule clairement que « Nul n’est tenu d’appliquer un ordre manifestement illégal ». Comment des officiers de police judiciaire, parfaitement avertis des principes de droit et des procédures pénales, peuvent-ils se donner tant de permissions vis-à-vis de la loi ? En exigeant le paiement, sans délai, dans les locaux de la Police judiciaire, de sommes d’argent dont aucun procès n’a établi le caractère irréfutable, la Police judiciairecommet un grave délit : elle se substitue à la Justice pour contraindre des citoyens à rembourser quelque chose qui pourrait être non fondée. Qu’est-ce qui prouve que le délit reproché à X ou à Y n’est pas contestable ? Et même dans le cas où le délit est vérifié, qu’est-ce qui prouve que le montant avancé est exact ? L’accusation ne se fait-elle pas à charge et à décharge ? Comment peut-on obliger quelqu’un à payer un dû douteux, sans lui donner la moindre possibilité de se défendre ? Bref, nous ne sommes pas en République et les Nigériens doivent se convaincre d’une chose : ils sont en danger. Personne n’est désormais à l’abri de l’arbitraire et ceux qui, parce que militants de partis affilés au pouvoir, pensent qu’ils sont à l’abri d’exactions, doivent impérativement se rendre à l’évidence : seul compte le PndsTareyya et ses militants, particulièrement Mahamadou Issoufou, Mohamed Bazoum, Massoudou Hassoumi, Pierre FoumakoyeGado, AlkassoumIndatou, BrigiRafini, KallaMoutari, GandouZakaraet bien d’autres qui sont dans la même logique, partagent la même vision, font la même lecture de la situation sociopolitique et s’entendent sur la même thérapie à privilégier. Le Niger, c’est eux et il ne saurait exister une autre loi que celle qui leur convient. Ce n’est pas pour rien que la violation de la Constitution ne leur fait ni chaud ni froid. La loi, c’est eux !
La procédure en cours à la Police judiciaire est une grave atteinte à l’État de droit, notamment au droit du citoyen à bénéficier de la présomption d’innocence et de l’assistance, dès l’étape de la police judiciaire, d’un avocat. Ces droits sont piétinés et c’est dans l’impuissance totale que des avocats assistent aux mises en accusation expéditives de ce « tribunal » d’exception ainsi qu’à la sommation qui est faite à leurs clients, de payer ou d’être emprisonné.En vérité, ce n’est pas tant le devoir de mettre l’État dans ses droits qui tient tant à cœur àMassoudou Hassoumi et ses copains, mais bien l’impératif de sauver leur régime du naufrage financier pourtant inévitable. Salou Gobi l’a dit et il faut le croire : ils sont dans un baroud d’honneur pour… tenter de sauver leur pouvoir, leurs parents, leurs amis et leurs proches. Seulement, au bout de tout baroud d’honneur, c’est l’ECHEC et parfois l’HUMILIATION.
Massoudou Hassoumi, qui a failli, selon le Syndicat des agents des impôts (SNAI) s’octroyer frauduleusement 1% des recettes fiscales, ne peut gagner ce pari teinté de mauvaise foi et de trompe-l’œil. Dans ces interpellations ciblées — il n’y a jusqu’ici aucun ténor du PndsTareyya et aucun dossier sérieux— l’objectif n’est pas de lutter contre la corruption et les infractions assimilées, mais de sacrifier quelques petites têtes d’alliés obligés dont l’offrande pourrait donner l’impression d’un changement de paradigme dans la gouvernance financière et économique tout en évitant le crash de la MRN [Ndlr : Mouvance présidentielle]. Qui va se plaindre de l’embastillement d’un Ada Cheffou ? Auparavant proche du pouvoir dont il a été ministre et caciquedu Mnsd Nassara, puis de Jamhuriya, il peut être « immolé » en sacrifice sans que la moindre poussière soit soulevée pour le tirer d’affaire. Ce n’est ni Seïni Oumarou, niAlbadéAbouba, qui vont s’apitoyer sur son triste sort, à plus forte raison bander les muscles pour le défendre comme ils en ont l’habitude dans un contexte politique pourri de corruption et de trafics en tous genres où chacun défend sa chapelle sans se préoccuper du Niger.
De même, El Hadj Tiaouta, El Hadj Raja, représentent aujourd’hui des hommes d’affaires pratiquement en roue libre, sans attache politique véritable en mesure de leur servir de parapluie. Proches des milieux de la CDS Rahama, ils ont été victimesdu laborieux contentieux judiciaire qui a ruiné leur parti. Et quelle que soit par ailleurs leur position politique par rapport à Mahamane Ousmane ou à Abdou Labo, la donne finale ne change rien pour la logique en cours. Car, si Mahamane Ousmane est un opposant et que la proximité avec lui prédestine les deux mis en cause à une "mise à mort", il faut remarquer que la revendication à l’appartenance de la CDS version Labo n’arrange pas forcément leurs affaires. Et pour cause ? Abdou Labo est un prisonnier politique en sursis et tout le monde sait que son soutien à Mahamadou Issoufou lors du hold-up électoral du 20 mars 2016 est une pure feinte …pour sauver sa liberté.
En fin de compte, que constate-t-on ? Un vulgaire tri d’affaires à transmettre au Parquet et une procédure illégale qui consiste à faire du chantage à des hommes désespérés, prêts à tout pour éviter la prison, afin qu’ils reconnaissent, sans aucun jugement, un forfait et qu’ils paient sans résistance ce qu’on leur réclame. Si cette procédure éhontée s’inscrit dans le cadre de l’ultime réveil que le Procureur ChaïbouSamna a annoncé il y a trois semaines et la tempête qui s’en suivra, il faut admettre que nous ne sommes plus dans une République et que chaque Nigérien doit se croire réellement en danger. Cette façon de faire la "justice"consacre la primauté de méthodes d’exception sur les procédures légales. Elle est inédite dans notre pays et il est certain que, loin de rassurer les citoyens, cela va contribuer à creuser davantage le fossé entre un pouvoir impopulaire issu d’un hold-up électoral et les citoyens, de plus en plus choqués et révoltés face à ces méthodes d’exception.Le pouvoir risque de l’apprendre à ses dépens, dans les rues de Niamey, le 4 février 2017.
BONKANO.
25 janvier 2017
Source : Le Canard en Furie