L’affaire Ibou Karadjé serait-elle en train de connaître le même sort que tous les autres scandales financiers qui ont scandé les 10 années de pouvoir d’Issoufou Mahamadou ? C’est en tout cas l’idée la mieux partagée actuellement depuis que, de sources multiples, l’on a appris que Ibou Karadjé, jusqu’ici incarcéré à la maison d’arrêt de Say, a été transféré vendredi dernier à la prison de haute sécurité de Koutoukalé. Un transfert dont on ignore, du moins, officiellement, les raisons. Pour de nombreux observateurs, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une volonté de museler le principal protagoniste de l’affaire, celui qui détient les preuves de la compromission de plusieurs personnalités. Ibou Karadjé perd ainsi, subitement, les quelques faveurs dont il a bénéficié jusqu’ici. À Say, il avait des privilèges pour un homme accusé d’avoir subtilisé, avec des complices, quelques huit milliards de francs CFA au Trésor public. Selon des sources crédibles, il recevrait ses visiteurs de marque dans une villa, hors de la maison d’arrêt. Mais il parlait surtout beaucoup. Ne tarissant jamais de critiques d’accusations à l’endroit de ceux qui refusaient de s’assumer face à leur responsabilités, Ibou faisait régulièrement savoir à des proches qu’il détient les preuves de la culpabilité de certaines personnalités dont il citait les noms. Mais il n’a jamais rien révélé à ce jour. Il se contente de menacer de le faire, espérant peutêtre une absolution de ses fautes s’il gardait le silence jusqu’au bout sur certains noms. En fait, Ibou Karadjé a joué au virtuose. Il a constamment gardé une sorte d’épée de Damoclès sur certaines têtes couronnées.
Même l’avocat d’Ibou n’a pas encore brisé la glace pour édifier l’opinion nationale sur les raisons de son transfert à Koutoukalé.
À Koutoukalé, une prison de haute sécurité située à une soixantaine de kilomètres de Niamey, Ibou Karadjé ne pourra plus recevoir ses visiteurs de marque dans une villa. Les conditions sont plus austères qu’à Say et il faut bien se demander ce que le juge en charge du dossier reproche à Ibou Karadjé pour décider de son transfert. En l’absence de toute explication judiciaire ¯ même son avocat n’a pas encore brisé la glace pour édifier l’opinion nationale sur les raisons de ce transfert ¯ les Nigériens spéculent. Ce transfert semble suspect pour la plupart des gens et certains se hasardent à entrevoir le pire, redoutant une volonté de faire taire, à jamais, ce Ibou qui n’est pas, loin s’en faut, un garçon de choeur. Ce transfert de prison d’un prévenu qui n’est pas encore jugé et condamné est assez singulier pour ne pas susciter des interrogations inquiétantes au sein de l’opinion nationale. Le transfert d’un prisonnier est solidement encadré par la loi. Pourquoi Ibou Karadjé a-t-il été transféré à Koutoukalé ? L’allure que prend ce dossier laisse croire à une volonté de lui clouer le bec en durcissant ses conditions de détention. Selon une source policière, il s’agirait de prendre des mesures de coercition visant à lui faire comprendre que ceux qu’il essaie de faire plonger sont ceux-là qui font la loi. Peut-être que désormais, Ibou Karadjé redescendra sur terre et se fera plus humble et discret.
Selon des sources multiples, Ibou Karadjé détiendrait des pièces à conviction contre certaines personnalités.
Au sein de l’opinion publique nationale, le sentiment le plus répandu est que Ibou Karadjé a été transféré à Koutoukalé afin de le faire taire. On estime, dans certains milieux proches du pouvoir, qu’il claque beaucoup la langue ; ce qui n’est pas du goût de certaines personnes. Mais, peut-on faire taire quelqu’un qui a déjà tout dit lors de ses auditions à la police judiciaire ? Mieux, selon des sources multiples, l’intéressé détiendrait des pièces à conviction contre certaines personnalités. Cependant, il continue à subir si bien que les Nigériens commencent à douter de son histoire. Son parc automobile, ses maisons, la vie qu’il menait, la campagne électorale de prince qu’il a faite lors des dernières élections, sont autant de choses que la rumeur publique retient contre lui pour le désigner comme coupable. Mais, des apparences aux faits prouvables, il y a parfois la mer à boire et seul un procès équitable peut situer les responsabilités.
Bazoum Mohamed : une réelle volonté de lutter contre la corruption ou de simples discours soporifiques ?
S’il est probable que le transfert d’Ibou Karadjé de la maison d’ard’arrêt de Say à la prison de haute sécurité de Koutoukalé est forcément un motif d’inquiétude pour l’intéressé qui est loin d’avoir été reconnu coupable des griefs portés contre lui, les Nigériens, eux, semblent déjà avoir tiré la sentence. Ce n’est pas, demain, la veille, que la lutte contre la corruption sera de mise. En tout cas, pas sous Bazoum Mohamed, qui semble fléchir, tergiverser, tâtonner, tourner en rond. Pour le moment, seul Ibou Karadjé et quelques agents de l’État, dont un policier, un planton et un retraité (ancien fondé du Trésor) sont en train de payer le prix fort de cette politique mi-figue, mi-raisin. Autant dire du menu fretin. À l’épreuve des faits, les Nigériens sont en train de sortir de leur profond sommeil, fruit des discours soporifiques du Président Bazoum. En attendant de le voir convaincre, des doutes sérieux sont émis sur sa volonté de lutter contre la corruption. Une corruption qui, tout le monde le sait au Niger, a des noms bien connus de tous.
Doudou Amadou