La saisie de 200 kilos de cocaïne sur un véhicule de la mairie de la commune de Fachi à bord duquel se trouvaient le maire de ladite localité et un autre élu au barrage policier de la route qui mène vers Dirkou, relance de plus belle le débat public sur l’identité des barons de la drogue au Niger. Depuis quelques années, les saisies de drogue de grandes quantités opérées par l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (Octris) ont concerné de grosses personnalités du pouvoir et/ ou des individus très proches des autorités politiques actuelles du pays. C’était le cas, notamment, de Chérif Abidine, surnommé le baron de la drogue au Niger, de Sidi Lamine, député Mpr- Jamhuriya sous la première législature de la 7e République, de Mohamed Sidi Mohamed, conseiller au président de l’Assemblée nationale, OusseiniTinni et arrêté en Guinée Bissau avec 800 kilos de cocaïne, etc. Aujourd’hui, c’est un élu local du Pnds, en l’occurrence le maire de la commune rurale de Fachi, qui s’ajoute au chapelet.

Pris dans un véhicule de la mairie de Fachi, Charou Ramadan, le maire passeur de drogue conforte la thèse de l’existence de barons locaux de la drogue au nom et pour le compte desquels ceux qui sont pris travaillent. La saisie, le 2 mars 2021, de 17 tonnes de résine de cannabis pour une valeur de 20 milliards de francs CFA, à Niamey, dans un entrepôt construit à cet effet prouve à suffisance que les barons se sentent en tout sécurité pour mettre en ?uvre de tels projets. C’est également le cas avec l’affaire d’avril 2018 où la police a mis la main, toujours dans un garage servant d’entrepôt, sur 12 180 plaquettes de résine de cannabis, soit deux tonnes et demi, pour une valeur marchande estimée à plus de trois milliards de francs CFA.

Dans tous les cas, si quelques porteurs sont arrêtés et incarcérés, les Nigériens n’ont toutefois pas souvenance de procès publics les condamnant à des peines pénales. On saisit de la drogue qu’on se précipite d’incinérer, on arrête quelques passeurs et convoyeurs, puis plus rien. Le trafic continue de plus belle, avec de plus en plus d’ampleur. Et toujours, à la source, ce sont des hommes proches du pouvoir qui y sont impliqués. Le député Sidi Lamine, le conseiller du président de l’Assemblée nationale Ouisseini- Tinni, les commanditaires du meurtre du passeur Ali Koré au nord de Gouré, etc. Tous sont très proches du pouvoir de Niamey qui n’a jamais livré une lutte féroce contre le fléau. Pourtant, les gouvernants actuels sont connus pour leur promptitude à faire élaborer et adopter des lois qui restreignent les libertés. À ce jour, aucune loi n’a été initiée par le gouvernement en vue de prendre des mesures draconiennes contre le trafic de drogue et ceux qui le pratiquent.

Au regard de l’ampleur du fléau et de ses conséquences néfastes, autant sur l’économie nationale que sur la jeunesse, de plus en plus encline à en consommer, les Nigériens applaudiront une loi rigoureuse contre les adeptes et les barons de la drogue au Niger. Et en l’absence d’une telle volonté, l’opinion publique a des doutes quant à l’innocence de certains gouvernants. Les liens politiques et la proximité de certains dealers locaux connus avec certains gouvernants font craindre le pire aux Nigériens. On a bien vu l’ancien président Issoufou Mahamadou écourter sa campagne électorale en 2015 pour aller rendre un ultime hommage à Chérif Abidine dit Chérif cocaïne qui venait de perdre la vie. L’intéressé, comme le maire de Fachi, a été d’ailleurs élu député sous la bannière du PndsTarayya. Pour qui roulent tant de personnalités publiques dans le trafic de drogue ? L’Octris, qui mène un travail formidable, peut certainement éradiquer rapidement ce trafic de drogue s’il disposait des coudées franches pour agir. Des nombreuses enquêtes menées sur ce sujet par Le Courrier, la rédaction vous propose, aujourd’hui, un extrait d’une d’entre elles, publiée en août 2019. Intitulée « La quadrature du cercle », l’enquête révèle des faits troublants d’une extrême gravité. Lisez plutôt.

Tout sur le trafic de drogue au Niger : La quadrature du cercle


Des narcotrafiquants au salon VIP de l’aéroport Diori Hamani

Il y a également le nommé C, un agent de l’aéroport, et le commissaire H, qui coordonne tout. C’est ce dernier qui est chargé d’accueillir habituellement les narcotrafiquants à l’aéroport, et de les convoyer jusqu’à leur destination. Un hôtel de la place, leur lieu d’hébergement habituel. Lorsqu’il est occupé à autre chose, le commissaire H instruit le nommé C qui travaille à l’aéroport pour les accueillir et les acheminer à leur hôtel. Des hôtes de marque ! Et comme tels, on les conduit chaque fois au salon VIP, sans autorisation préalable alors qu’il en faut bien une pour en avoir accès. Le 14 juin 2019, une source aéroportuaire crédible a indiqué au Courrier que les quatre personnes interpellées à l’aéroport ont bel et bien transité par le salon VIP.

La lettre d’un grand service de l’État pour une autorisation d’atterrissage invoquait un don logistique du gouvernement libyen au profit de ce grand service de l’État

C’est un grand service de l’État qui avait demandé, en mars 2018, précisément pour la période allant du 24 au 28 mars, une autorisation d’atterrissage pour le compte d’un avion en provenance de la Libye. La drogue est sans doute introduite à l’occasion. Une lettre est transmise dans ce sens aux ministères des Transports et des Affaires étrangères. Raison officielle avancée : l’avion transporterait un don de matériel logistique du gouvernement libyen à un grand service de l’État et devrait faire trois rotations pour tout acheminer à Niamey. Du matériel roulant. L’autorisation est naturellement obtenue. Le premier vol a amené cinq Toyota Pick-up, le deuxième va transporter cinq aussi et le troisième, trois Toyota Pick-up et un V8. L’avion a atterri à l’escadrille militaire. C’est le même M.M.A, actuellement incarcéré à la prison civile de Niamey, qui est chargé de conduire l’opération. Après ces trois rotations, une autre demande est introduite pour une quatrième rotation. Ce quatrième vol devait transporter trois véhicules V8. C’est du moins ce qui est avancé. Mais, une source diplomatique avance que l’on soupçonne plutôt une cargaison d’argent. « Peut-être le fruit du recel des sept tonnes sorties au nez et à la barbe de la police », dit-il.

Un don logistique du gouvernement libyen pour un grand service de l’État, mais venu curieusement de Benghazi

Selon des confidences dignes de foi, certaines personnalités publiques de l’État ont eu, à l’époque, le choc de leur carrière politique en découvrant ce que cachaient ces rotations d’avion. En fait de don du gouvernement libyen à ce grand service de l’Etat, il n’en est rien. En réalité, l’avion est arrivé de Benghazi et non de Tripoli. C’est un officier libyen qui a envoyé ces véhicules. Après l’opération, les véhicules prétendument présentés comme un don du gouvernement libyen ont curieusement disparu dans la nature. Aucune trace au niveau de ce grand service de l’Etat, le service supposé en avoir bénéficié. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de cérémonie de réception officielle alors que le gouvernement en a fait pour moins que ça. C’est tout de même 15 ou 17 véhicules pick-up et V8 ! Selon notre source, les véhicules 4X4 venus de Benghazi sont bel et bien au Niger, utilisés à des fins privées.

Confidences pimentées d’un diplomate

Un diplomate confie qu’au lendemain de l’interpellation des 12 personnes présumées coupables dans l’affaire des 2,5 tonnes de résine de cannabis, un des propriétaires de la résine de cannabis s’est même offert le luxe insolent d’atterrir à Niamey Selon les services de renseignements d’un pays occidental, l’homme est arrivé au Niger en toute tranquillité et en toute confiance. Le grand service de l’État prétendument bénéficiaire des véhicules venus de Libye, lui a même fourni, selon les mêmes sources, cerise sur le gâteau, un officier qui l’a accompagné jusqu’au palais de justice. Il tenait à les voir au moment de leur déferrement. Son entrevue avec ses hommes de main terminée, le parrain a repris son avion et a quitté Niamey comme il était venu. En toute confiance ! Son séjour à Niamey a été des plus indicatifs quant à ses connexions au Niger. Il a été vu dans des lieux insoupçonnés. Tout a été soigneusement relevé et noté : son accueil à l’aéroport, ses fréquentations, ses amitiés, etc.

Arrestation, puis libération, d’un membre présumé du Mujao

Dans tous les pays du monde où le trafic de drogue a pris pied au c?ur de l’État, les narcotrafiquants ont dû, pour asseoir les bases solides de leur commerce illicite, infiltré les régimes en place. La visite, au Niger, d’un ressortissant d’un pays voisin, a été la première tentative d’infiltration des narcotrafiquants. Grâce aux bons offices d’un ami, cet hôte particulier, un certain Y,accompagné d’un certain R, va être mis en contact avec un officier supérieur qui, à son tour, l’a mis en contact avec un grand service de l’État. Avec ces cartes en main, le sinistre individu va demander une audience au ministre de l’Intérieur de l’époque, Hassoumi Massoudou. Alors qu’il a donné son accord pour l’audience, Massoudou va rapidement se raviser et demander à ce grand service de l’État d’attendre son appel avant de venir. Surprise ! Quelques heures après, le ministre de l’Intérieur donne des instructions fermes pour procéder à l’arrestation de l’individu. Ce qui fut fait. Mais, l’étranger ne restera pas plus de trois jours en prison. Il est libéré sur instruction. En dehors de toute responsabilité de Massoudou, lui aussi surpris par l’épilogue. Selon nos sources, la libération de ce membre présumé du Mujao a été d’ailleurs fêtée, quelque part, à Niamey, avec des amis locaux.

Les otages australiens libérés grâce aux bons offices de Niamey

En réalité, le monsieur qui était venu demander une audience auprès du ministre de l’Intérieur de l’époque, n’était pas inconnu des services de renseignements occidentaux. Son signalement, avec tous ses états de service, ont été mis à la disposition de Massoudou qui a immédiatement demandé qu’il soit arrêté et placé en détention. C’est un membre fiché du Mujao. Avec d’autres, il détient des capitaux importants dans une société de transport de la Place qui s’est installée, pas longtemps, au Niger. C’est par cette société de transport que l’infiltration, rendue impossible avec la réaction du ministre de l’Intérieur, a été finalement réalisée. Les quatre personnes interpellées à l’aéroport auraient fait cet aveu lors de leur audition. Cette société de transport est encore au Niger. C’est cet homme qui, une fois retourné dans son pays, a appelé un grand service de l’État pour demander s’il est intéressé par le couple d’otages australiens, enlevés courant janvier 2016, à Djibo, en territoire burkinabè. Ce même individu figure, selon un diplomate, parmi les propriétaires de la résine de cannabis saisie en juin 2018 et incinérée quelque temps après. Les otages australiens, une certaine Jocelyne et son collègue, sont libérés quelques semaines après. En campagne électorale à Dosso, en février 2016, le Président Issoufou recevra la dame Jocelyne qui a tenu à s’y rendre pour le remercier et lui témoigner sa gratitude.

Laboukoye