Même s’ils ne l’ont pas directement vécu, beaucoup de nos concitoyens se font une idée de la polygamie. Idées souvent construites au travers des scènes de ménage souvent dramatiques dans les foyers polygames. En effet, pièces de théâtre, films, dictons populaires ont présenté le phénomène de la polygamie dans ses multiples facettes, mais le plus souvent sous son mauvais aspect. Coépouses acariâtres, marâtres sorcières, époux injustes, belles familles en guerre constante, tel est en général, le visage de la polygamie dépeint dans notre société actuelle.
Pourtant, il est existe aussi des histoires positives, des réussites dans la polygamie. Qu’on la déteste ou qu’on la tolère, la polygamie fait partie de nos traditions. Autorisée par nos us et la religion musulmane, cette pratique est diversement appréciée. Si certains pensent qu’elle est à la base des tensions dans les foyers, d’autres mettent en avant ses avantages pour la société notamment la lutte contre certaines pratiques contraires aux mœurs, mais aussi la chance qu’elle offre aux femmes (plus nombreuses que les hommes selon certaines statistiques) d’avoir un foyer.
Mais au-delà des appréciations qui peuvent être subjectives sur la polygamie, il y’a ce que la religion musulmane a recommandé. Les chercheurs en sciences sociales ont aussi leurs explications sur cette pratique. En définitive, les témoignages des concernés mettent en lumière une expérience diversement vécue.
Siradji Sanda(Onep)
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Pratique qui consiste pour un homme d’avoir plusieurs épouses, la polygamie existe aussi bien au Niger que dans plusieurs sociétés africaines. En effet, il est illusoire de bien comprendre la polygamie sans évoquer le mariage qui est l’institution et le fondement de la famille. Il est l’union sacrée à travers laquelle la société reconnait que deux personnes de sexe opposé fondent un foyer, un couple, une famille. Pour les musulmans, la polygamie est une pratique tolérée par leur religion qu’est l’islam.
Pour le socio-anthropologue Sani Jandjouna, la légitimation de la polygamie dans les sociétés musulmanes part sans doute du postulat selon lequel les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans toutes les sociétés humaines. De ce point de vue, la polygamie est perçue comme une proposition, une alternative pour permettre aux autres femmes d’avoir une vie conjugale. Selon M. Sani Jandjouna, l’homme n’étant pas fondamentalement un simple animal. Il est un être qui réfléchit, qui a une religion, ce qui l’amène à configurer sa vie dans le sens où on a le profane et le sacré. Il y’a ce qui lui est permis et ce qui lui est interdit. Tous ces éléments le classent dans un registre social. Ainsi, la règlementation sociale a fait en sorte qu’on ne se marie pas avec n’importe qui. Donc à l’origine de la polygamie, c’est le mariage qui est accepté par la société et c’est selon des cas puisque dans certaines sociétés, c’est la polyandrie qui est pratiquée.
Le socio-anthropologue explique que cette conception de la vie existe dans nos traditions africaines bien avant même l’avènement de l’Islam. Mieux, les sociétés africaines sont reconnues comme étant à l’origine de la polygamie. Et ce n’est que plus tard que l’islam est venu encore conforter les gens dans leur position.
Sani Jandjouna relève que c’est le contrôle de la sexualité qui est à l’origine de la polygamie. «Il y’a ce principe lié à l’âge, c’est-à-dire quand un homme épouse une femme, même avec deux ans, trois ans de différence en termes d’âge, la femme va vieillir plus vite que l’homme. Cette vieillesse et la maternité qu’elle aura à connaitre peuvent l’amener à éprouver des désires sexuels de moins en moins que l’homme», soutient-il. Ainsi, poursuit-il «l’homme vieillit assez plus lentement que la femme, par conséquent, il va se trouver dans une situation où il a encore besoin de la femme. Ce qui va le pousser à prendre une autre femme, parce que la société lui interdit formellement d’aller entretenir des relations hors mariage surtout qu’il y a une certaine forme d’offre en termes de présence humaine dans la société». En effet, les statistiques démographiques actuelles relèvent qu’il y a actuellement plus de femmes que d’hommes dans nos sociétés.
Le plus souvent, l’homme dispose de suffisamment de moyens à vouloir prendre une autre épouse. En outre, «le fait d’avoir deux ou trois épouses est perçu comme un prestige social dans nos sociétés», fait remarquer le socio-anthropologue, soulignant que de par sa nature, l’homme est égoïste. «C’est cette essence de l’homme qui fait qu’il ne veut nullement partager quelque chose avec quelqu’un», explique-t-il. Toutefois, le socio-anthropologue, rappelle que le mariage est une recommandation et non une obligation. «Lorsque l’homme décide de se marier, celui-ci peut aller au-delà d’une seule femme à condition qu’il soit juste envers ses épouses. Il doit avoir la capacité de les prendre en charge en assurant pleinement les dépenses de souveraineté conjugale, il doit être en mesure d’assumer ses charges conjugales, sexuellement, mutuellement, et du point de vue alimentaire etc.,», affirme-t-il.
Malheureusement, on assiste de nos jours à des problèmes en termes de jalousie entre les co-épouses. A ce niveau, le socio-anthropologue pointe du doigt l’éducation. «Lorsqu’on éduque une fille à accepter la polygamie, ou si elle a grandi dans une famille polygame, elle est plus encline à accepter un mari polygame. Mais lorsqu’on doit éduquer la fille à ne pas accepter la polygamie, celle-ci a tendance à ne pas partager son homme avec une autre», explique le socio anthropologue.
Les avantages de la polygamie sont multiples. «Par exemple, lorsqu’un enfant est issu d’une famille polygame, celui-ci bénéficie selon Sani Jandjouna plus d’un apport éducationnel, d’un point de vue social parce qu’il a beaucoup de frères et sœurs pour parfaire sa capacité à affronter les difficultés de la vie et à comprendre la coopération sociale parce qu’on ne peut pas réussir seul», explique le socio anthropologue, qui estime aussi que la polygamie est une réponse qui convient a beaucoup de problèmes dans notre société. M. Sani d’ajouter qu’elle ‘’permet aux hommes de se respecter, cela voudrait dire de ne pas aller dans l’adultère et la fornication, pour se contenter exclusivement des préceptes de notre coutume et de notre religion’’.
La polygamie a certes quelques avantages avérés. Elle permet à titre illustratif, d’éviter bien des problèmes liés à l’infidélité tels que les enfants nés hors mariage, les maladies sexuellement transmissibles, etc. Cependant, lorsqu’elle tourne mal, cette pratique crée une situation cauchemardesque au sein des foyers et peut aller au drame.
Haoua Atta(Onep)
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La polygamie désigne un régime matrimonial où un individu est lié au même moment à plusieurs conjointes. C’est aussi l’engagement qu’un homme prend en se mariant avec plusieurs femmes tout en respectant les conditions et règlements requis à cet effet. Cette pratique ancienne qui existe dans plusieurs sociétés à travers le monde, est très tolérée au Niger. Elle est même recommandée par l’Islam dans certaines mesures.
En effet, l’Islam a posé le principe d’équité comme condition essentielle, parmi tant d’autres à observer chez le musulman polygame vis-à-vis de ses épouses. Ainsi, la polygamie est évoquée principalement dans le Coran verset 3 de la sourate «AN NISA» (les femmes) où il est dit « …il est permis d’épouser deux, trois ou quatre parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n’être pas juste avec celles-ci, alors prenez une seule (…). Cela, afin de ne pas faire d’injustice ou de ne pas aggraver votre charge de famille».
Selon M. Youssou Mounkaila, Secrétaire général de l’Association Islamique du Niger, le mariage en Islam n’est pas comme le disent beaucoup de penseurs une union sacrée de deux personnes, mais plutôt une adoration de Dieu. De ce fait, le prophète Mohamed paix et salut sur lui a montré à sa communauté à travers sa sunnah comment se déroule le mariage.
Relativement à la polygamie, M. Youssou Mounkaila souligne que le Coran autorise certes aux hommes de prendre deux, trois ou quatre épouses. «Mais s’ils pensent ne pas être justes, ils doivent se contenter d’une seule femme. Le prophète, paix et salut sur lui, (étant la personne la plus respectée) et ses compagnons disposent de plus d’une épouse. Si l’islam insiste sur une chose c’est qu’il y’a des récompenses, même si néanmoins cet acte demeure douloureux chez les femmes, qui doivent l’accepter, le respecter car tout ceci parce que c’est une prescription de Dieu. Si elle est bien observée, elle mène au paradis» a-t-il affirmé. Il estime ensuite que les femmes nigériennes ne doivent pas suivre les occidentaux qui, pensent que la polygamie est une forme de méchanceté ou un problème social.
Cette pratique estime-t-il, est plutôt un acte qui éviterait la prostitution, la débauche, la fornication et toutes autres formes d’atteintes aux bonnes mœurs dans nos sociétés. «Tout ceci pour dire que, de par le fait que la polygamie soit recommandée en Islam par le prophète, elle est aussi recommandée pour prévenir beaucoup de problèmes sociaux», ajoute M. Youssou Mounkaila.
Par ailleurs, le secrétaire général de l’Association islamique du Niger, insiste sur le fait que les femmes doivent accepter la polygamie car c’est une question divine et nul ne peut s’y opposer. «Nos femmes doivent avoir la crainte de Dieu, apprendre la religion, prier beaucoup pour leurs époux en vue qu’ils soient justes envers elles, pour qu’ils aient les moyens de les prendre en charge et également pour qu’ils soient patients. Elles doivent accepter la polygamie car même aux paradis les hommes sont appelés à vivre avec plusieurs femmes», a recommandé M. Youssou Mounkaila.
Rachida Abdou Ibrahim(Onep)
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Pratiquée dans nos sociétés depuis la nuit des temps, notamment dans les familles musulmanes, la polygamie est un des régimes matrimoniaux en vigueur au Niger. Aujourd’hui, de nombreuses femmes vivent dans des familles polygames, une situation qui a autant de nombreux avantages que d’inconvénients. Cependant, même si elle est une recommandation dans la religion musulmane, beaucoup de femmes boudent la polygamie de peur d’avoir une mauvaise co-épouse qui va compromettre l’harmonie et de la paix dans la famille. Et les expériences sont nombreuses, mais elles ne se ressemblent pas.
Une dame qui a grandi et qui vit actuellement dans la polygamie raconte l’histoire qu’elle a vécue dans sa famille. «Mon père a quatre femmes dont ma mère qui est la première. Du fait qu’il est injuste entre ses femmes cela a conduit à des conflits entre nos mères de même qu’entre mes frères et sœurs. Il aime ma mère plus que les autres. La deuxième et la dernière femme de mon père ont ensorcelé ma mère et envouté mon père. Ma mère est devenue une malade mentale agressive. Du coup notre père nous a tous chassés de la maison; il nous a abandonné. J’ai grandi avec cette haine et la peur d’avoir une coépouse», témoigne cette dame qui a voulu garder l’anonymat.
Toutefois elle ne se plaint pas de sa situation en tant que femme d’un homme polygame. «Je suis mariée avec un homme polygame et nous vivons en harmonie avec ma coépouse. Nous faisons tout ensemble. Nous vivons dans la même maison, nous ne faisons pas de différence entre nos enfants. Donc je peux dire que la polygamie peut être aussi une chance pour les femmes et leurs maris», confie-t-elle.
Une autre femme qui n’a pas voulu aussi que son nom soit révélé témoigne ainsi. «Je ne peux pas empêcher à mon mari de se remarier mais je lui conseille toujours de me respecter et d’apprendre à sa future femme de me respecter et d’être équitable entre nous. De ce fait, quand il s’est marié je n’ai constaté aucun changement et ma co-épouse me respecte. On s’entend bien, chacune reste à sa place et s’occupe bien de notre époux. Quand je suis malade ma co-épouse s’occupe de la maison et de notre mari. Moi je n’ai jamais eu d’enfant mais grâce à ma coépouse je l’ai eu, puisqu’après le décès de ma co-épouse lors d’un accouchement j’ai gardé sa fille. Actuellement cette fille ne sait pas que je ne suis pas sa mère biologique. Je pense que la polygamie est une question de responsabilité. L’homme doit savoir comment gérer sa maison», déclare-t-elle.
De son coté, Zakou Moumouni n’a pas eu une bonne expérience de la polygamie. «Depuis que j’ai épousé une deuxième femme, je n’ai plus la conscience tranquille. Chaque jour, c’est la bagarre chez moi, je ne sais même pas où mettre la tête. Je suis trop dépassé par l’affaire de chez moi. J’ai essayé plusieurs fois pour que sa réussisse, mais c’est toujours des problèmes. Bien que mes deux épouses ne vivent pas dans la même concession c’est toujours la bagarre. Soit la première vient chez la deuxième ou le contraire pour se bagarrer. Je ne sais pas qui prendre, je suis obligé de les répudier car ça fait des années qu’on vit dans cette situation. Je regrette beaucoup, car je pense que j’ai fait un mauvais choix», affirme t-il.
Nafissa Yahaya(Onep)
1er février 2022
Source : http://www.lesahel.org/