Revenons à l’ordonnance portant régime de la liberté de presse au Niger sérieusement malmenée pour les uns, objet d’attention particulière pour les autres pour poser la question qui est sur tant de lèvres : Jusqu’à quel niveau protège-t-il le journaliste ? Autrement dit, fait-elle, dans tous les cas de figure, du professionnel de l’information, un citoyen « irresponsable » devant la justice, c’est-à-dire non passible de poursuites pénales ? Pour l’écrasante majorité des journalistes nigériens, l’ordonnance n°034 du 5 juin 2010 est sacrée. Sur le principe, elle l’est, puisqu’elle consacre la liberté de presse si chère à la démocratie. Mais dans les faits, le texte de 88 articles entré en vigueur sous la transition de Djibo Salou protège-t-il le journaliste ? C’est le lieu d’en venir à l’arrestation du journaliste du Courrier, Ali Soumana et à un cas similaire datant de juillet 2012, deux ans après l’adoption de l’ordonnance ci-dessus indiquée et la signature de la Déclaration de la Table de la Montagne par le Président de la République. Pour le cas du Directeur de Publication du journal « Jeunesse Infos », Marcus Issaka Lawson (puisque c’est de lui qu’il s’agit), il avait écopé de 9 mois de prison dont 3 avec sursis pour le chef d’inculpation « faux et usage de faux » relativement à un document attribué à autrui dont publication a été faite dans son journal. Les organisations socioprofessionnelles des médias parmi lesquelles l’ANEPI avaient condamné au moment de ces faits, une violation de l’ordonnance portant régime de la liberté de presse au Niger en ce qu’elles avaient argué le délit commis par voie de presse. Si l’on creuse la procédure suivie par la justice, ce n’est pas la publication elle-même qui est poursuivie mais le faux et son usage en ce que le document n’est pas la propriété de la personne, à lui, attribuée. Pour les défenseurs de la liberté de presse, il y a eu contournement de la loi, dès lors que le chef d’inculpation collé à Marcus Lawson n’est pas couvert par l’Ordonnance. Ce « contournement » est-il possible oui ou non ? Les 88 articles de l’ordonnance n°035 sont muets là-dessus. Comme quoi l’ordonnance dans son contenu actuel est insuffisante dès lors qu’il n’est pas interdit de coller un chef d’inculpation non couvert par la dépénalisation à une publication faite par voie de presse. C’est vraisemblablement la même procédure qui est engagée à l’encontre du journaliste Ali Soumana. Si l’on se réfère au premier chef d’inculpation « violation du secret d’instruction », on reste dans le délit de presse. En ce moment, au regard de la loi, ce n’est pas à Ali Soumana, journaliste, même s’il s’avérait auteur de l’article incriminé, de répondre devant la justice mais le Directeur de Publication du journal « Le Courrier » qu’il n’est pas, étant entendu que ce dernier lui-même jouira dans ce cas de l’application de l’ordonnance protectrice de la liberté du journaliste. Mais, en lui collant le chef d’inculpation « soustraction frauduleuse d’une pièce » d’un dossier judiciaire, on sort des délits couverts par l’ordonnance et on rentre dans la même procédure engagée à l’encontre du Directeur de Publication du journal « Jeunesse Infos » en 2012. Comment empêcher ce qui est qualifié de « contournement de la loi » ? Ou disons en termes plus clairs, comment faire pour empêcher tout contournement de l’ordonnance ? C’est là, la question. L’heure n’est donc pas aux diatribes, ni aux divergences. Les organisations socioprofessionnelles des médias se doivent donc de revoir l’Ordonnance qui comporte vraisemblablement de nombreuses insuffisances. Il n’y a pas de texte parfait mais dès lors que celui révèle ses imperfections et incohérences, il peut être toiletté. Ce qui nous amène à ouvrir un autre débat. Jusqu’où doit se limiter la liberté du journaliste qui est indispensable à la démocratie ?
Oumarou Kané
11 juillet 2017
Source : La Nation