.{xtypo_quote}L’absence de tout contre-pouvoirs menace foncièrement nos institutions démocratiques.{/xtypo_quote}
Or, le constat qui se dégage de la pratique démocratique actuelle nous rappelle Artistote lorsqu’il mettait en garde la société contre le tyran qui, pour conforter son pouvoir, avait intérêt à « garder son peuple pauvre, pour qu’il ne puisse pas se protéger par les armes, et qu’il soit si occupé à ses tâches quotidiennes qu’il n’ait pas le temps pour la rébellion ». Dans cette perspective, nous mettons donc en garde le peuple nigérien contre l'exécutif dans son entreprise de démolition des institutions démocratiques. Le fait pour le chef de l’État de refuser d’obtempérer à l’arrêt de la Cour constitutionnelle l’obligeant à organiser une élection partielle, a vidé de sa substance le principe de l’équilibre institutionnel et de la séparation des pouvoirs indispensables à la réalisation démocratique.
Le Conseil des ministres, devenu, par la force des choses, législateur et juge, tant il dispose du pouvoir de légiférer mais aussi, depuis le décret du 30 juin, du pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois, si bien qu’il est apparu comme une Cour constitutionnelle d’appel. Ainsi, chaque fois qu’une loi s’est révélée à l’épreuve de la pratique, limitative de l’exercice de la compétence du pouvoir exécutif, ce dernier, s’est efforcé, au lieu de se soumettre à la volonté générale, par une ingénierie juridique, à lever le verrou législatif ou constitutionnel, pour s’offrir un boulevard sur lequel il exerce sans limite ses compétences. C’est ainsi que, par un habillage juridique, une loi de 2012 est venue modifier l’ordonnance 201(0 ?)-54 du 17 Septembre 2010 portant code général des collectivités territoriales. C’est sur le fondement de cette loi que le pouvoir exécutif s’est arrogé, en méconnaissance des principes de la séparation des pouvoirs et des exigences constitutionnelles de la décentralisation, le droit de révoquer des autorités élues qui tirent directement leur légitimité du suffrage populaire. Plus encore, cette même loi a servi et continue de servir de fondement juridique au maintien des élus locaux après le terme du mandat dont ils sont régulièrement investis.
Je plaide en faveur d’un véritable débat de fond sur le modèle de révocation de nos élus à tous les niveaux. Car (à) de mon point de vue, il n’appartient pas à un Conseil des ministres de s’ériger en tribunal populaire au point de décider de la révocation d’un élu du peuple. Ce n’est pas là, l’esprit de la démocratie que nous proclamons au préambule de notre Constitution. Pour cela, seul le dynamisme de l’opposition parlementaire, dont elle n’a pas vraisemblablement compris la portée, permet dans notre système actuel, d’épurer la contrariété de certains textes juridiques et réglementaires en les confrontant aux dispositions constitutionnelles et législatives sous le regard d’un juge.
Il faut réhabiliter l’opposition parlementaire, la politique de la « chaise-vide » à laquelle elle semble définitivement souscrire compromet notre marche démocratique et la rend indigne de représenter l’alternative.
En effet c’est en réhabilitant l’opposition parlementaire, telle qu’elle existait dans un système démocratique normalement constitué que l’on pourrait mettre fin à la crise de conscience nationale et aux conflits de nature politique qui secouent la démocratie nigérienne et qui atteint profondément le climat social. C’est la véritable voie démocratique par laquelle le débat politique peut être soumis à l’arbitrage du juge. Dans une démocratie parlementaire comme c’est le cas au Niger, la majorité étant à l’origine de l’adoption des lois, il parait inconcevable, (bien que la possibilité existe), sauf dans le cas où la saisine du juge constitutionnel est obligatoire, comme c’est le cas des lois organiques, qu’elle soit à l’origine de celle-ci pour contrôler la conformité d’une loi à la Constitution.
En revanche, rien n'empêche à l’opposition parlementaire, lorsqu’un texte législatif ou réglementaire est à l’origine d’une situation de controverses mettant en cause des principes constitutionnels, d’en saisir le juge constitutionnel pour en contrôler la constitutionnalité. Elle ne semble d’ailleurs pas l’ignorer puisqu’elle a eu l’occasion de le démontrer à l’occasion des multiples saisines du juge constitutionnel lorsqu’il y'a des intérêts politiques en présence. De ce fait, faut-il le souligner, on ne s’oppose pas seulement contre un régime mais aussi contre un système. Et c’est en ce sens qu’il est prévu à l'alinéa 2 de l’article 131 de Constitution, outre le Président de la République, le premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale, la possibilité, pour un dixième (1/10) des députés, même dans le cas où celle-ci n’est pas obligatoire, de déférer, avant leur promulgation, les lois ordinaires adoptées par l’Assemblée nationale. Or, en boycottant, certaines séances au cours desquelles les lois sont votées, il n’est pas étonnant que celles-ci ne fassent pas l’objet de contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation. C’est pourtant ce rôle qui est attendue de l’opposition parlementaire par le constituant à travers l’article 131 alinéa 2 de la Constitution.
Par voie de conséquence, une fois promulguée, ces lois mêmes inconstitutionnelles continuent à s’appliquer et produire leurs effets et échappe ainsi au contrôle de constitutionnalité, comme c’est le cas de la loi de 2012 portant code générale des collectivités territoriales sur le fondement duquel le gouvernement, peut non seulement proroger indéfiniment les mandats des élus pourtant arrivés à terme mais aussi, par la même occasion, révoquer sans difficulté un élu qui tire pourtant sa légitimité d’une élection populaire. La seule possibilité dans ce cas demeure, la saisine par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, à l’occasion d’un procès, par une personne partie à ce procès. Et ce cas est très rare. Cette rareté se justifie dans bien des cas par l’inculture juridique des concernés ou dans certains cas, comme par exemple le cas élus révoqués par décret qui, parce qu’ils ne sont pas pénalement irréprochables, préfèrent, au lieu d’exercer un recours juridictionnel, se soumettre à la décision de l’exécutif et échapper ainsi à des poursuites judiciaires. Cette situation semble en effet arranger toutes les parties, opposition comme majorité, puisque rien n’explique que des élus, même de l’opposition, continuent à siéger au-delà du terme de leur mandat légal et de jouir des bénéfices de cette loi dont l’inconstitutionnalité ne fait aucun doute.
Cette défaillance de l’opposition parlementaire est confortée par son immobilisme face au décret pris en méconnaissance de l’arrêt constitutionnel n° 002/CC/ME du 7 mars 2017 constant la vacance du siège de député et rappelant l’obligation du Président de la République d'organiser l’élection législative partielle à Maradi. Ce décret au caractère liberticide avéré, parce qu’il n’a pas fait l’objet de recours, continue de produire des effets dont la conséquence directe fut le report de l’élection législative partielle en dépit de l’exigence constitutionnelle rappelée dans l’arrêt précité. Pourtant on retrouve à l’alinéa 1er de l’article 128 de la Constitution, la compétence dévolue à la Cour constitutionnelle pour statuer sur les cas de recours pour excès de pouvoir en matière électorale dont la mise en œuvre ne peut provenir que des partis politiques. Cette attitude s’explique en partie par le fait que l’on a plaqué dans notre Constitution, des principes et exigences auxquels nul ne semble prêter les moyens de leur émergence. Or le combat politique est consubstantiel à la consécration démocratique qui ne peut se traduire que par la valorisation des principes constitutionnels. Car là où les principes constitutionnels sont malmenés, les règles démocratiques bafoués, les libertés fondamentales restreindre (restreintes ?, l’État de droit n’a pas droit de citer. Et dans une démocratie parlementaire, seule une opposition empreinte de culture juridique et démocratique pourrait permettre l’affirmation des (de) tels principes. C’est en ce sens que l’opposition, en tant que contre-pouvoir, apparaît comme un pilier de la démocratie.
Au regard de ce qui précède, tout porte à croire qu’au Niger, ce n’est pas de contre-pouvoirs qui manquent, mais ce sont des hommes qui manquent pour l’exercer. C’est pourquoi je plaide pour une réhabilitation de l’opposition parlementaire sans laquelle, on aura tous cautionné une pratique qui consiste à pousser, sans retenue, nos gouvernants de toutes parts, à s’affranchir du cadre légal et institutionnel de la démocratie.
Maître ADAMOU Bachirou
27 juillet 2017
Source : L'Eclosion