Pour l’heure, c’est surtout le bâton qui se manifeste, la reconversion économique prenant du temps. Les effets de cette fermeté accrue, qui se fonde juridiquement sur une loi anti-migration illégale datant de 2015 (mais jusque-là appliquée avec un certain laxisme), sont tangibles, notamment sur le circuit dit « classique » qu’empruntaient jusque-là les migrants.
Pour preuve, la léthargie qui caractérise aujourd’hui la ligne Niamey-Agadez de la compagnie Sonef. La cité d’Agadez, « capitale » du pays touareg nigérien, située à près de 700 km au nord-est de Niamey, est le grand carrefour où convergent les migrants affluant des pays de la région avant de s’embarquer à bord de camions ou de pick-up vers le désert libyen, désert de tous les périls. La fréquentation de ce segment Niamey-Agadez est donc un bon indicateur de l’intensité du flux migratoire provenant de l’Afrique subsaharienne. Les chiffres fournis par la Sonef attestent sans ambiguïté d’un tarissement, le nombre de passagers enregistrés sur cette ligne ayant chuté en 2017 de 30 % à 40 % par rapport à 2015. « Le gouvernement contrôle désormais plus efficacement », commente le cadre de la compagnie de transport.
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Le fléchissement est encore plus net chez Azawad, l’un des concurrents de Sonef. Le logo de la compagnie – une gazelle – s’étale avec fierté sur le flanc des bus chinois Zhongtong, de plus en plus populaires au Niger, car ils coûtent trois fois moins cher que les MCV Mercedes-Benz. Ici, à Azawad, on a le sens des relations publiques. « A notre aimable clientèle » : ainsi débutent poliment les avis aux voyageurs scotchés sur la vitre du guichet. Cela n’a pourtant pas suffi à enrayer la désaffection de la ligne Niamey-Agadez qui, faute de passagers, a dû fermer il y a cinq mois. C’est qu’il est de plus en plus difficile pour des migrants venant du Sénégal, de Côte d’Ivoire, de Gambie ou de Guinée d’embarquer à bord de bus sur cette ligne.
Véhicules de brousse
Signe du durcissement ambiant, les voyageurs ne peuvent plus acheter un ticket sans présenter une pièce d’identité – document dont beaucoup sont dépourvus. Les compagnies de transport préfèrent leur refuser ce ticket plutôt que d’encourir des tracas sur la route d’Agadez de la part de la police, qui multiplie les contrôles. Au fil des mois, le message est passé. « Les migrants d’Afrique de l’Ouest viennent de moins en moins à Niamey, car ils savent qu’il leur sera difficile d’accéder à Agadez », souligne Ali T., un responsable de la compagnie Azawad.
Le verrouillage croissant de l’accès à Agadez par cette route principale ne signifie pas pour autant que tous les migrants renoncent. Certains persistent à tenter leur chance en empruntant des voies secondaires à bord de véhicules de brousse, plus précaires. « Couper une route dans une région au passé de caravaniers est absurde, objecte un humanitaire basé à Niamey. Nombreux sont les migrants qui continueront d’essayer. Le vrai résultat, c’est de les exposer davantage au danger sur des routes plus risquées. »
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Par Frédéric Bobin (Niamey, envoyé spécial)
02 novembre 2017
Source : http://www.lemonde.fr/afrique/