Monsieur le ‘’Président’’

J’ai suivi vos interviews à l’extérieur, notamment celle que vous avez accordée au journal français Le Monde. Et comme toujours, vous avez servi aux médias extérieurs une peinture du Niger dans laquelle seuls quelques rares thuriféraires du régime que vous incarnez se reconnaissent. Je vous ai notamment entendu dire que votre gouvernement affecte 25% du budget de l’Etat à l’éducation ; que vous avez construit 15 000 classes en cinq ans, en comparaison des 20 000 qui auraient été construites de 1960 à 2011 ; que l’école est gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans ; que vous auriez fait passé la formation professionnelle et technique de 8% en 2010 à 25% en 2016, et que vous allez la faire passer à 40% en 2021 ; que vous avez introduit l’enseignement sur l’histoire des religions dans les écoles coraniques, etc. Epoustouflant !

Bien entendu, comme toujours, j’ai alors fouillé dans la loi de finances 2018 et me suis rendu compte que les budgets cumulés des quatre ministères en charge de l’éducation au Niger, à savoir le ministère de l’Enseignement primaire, de l’Alphabétisation, de la Promotion des Langues nationales et de l’Education civique, le ministère des Enseignements secondaires, le ministère des Enseignements professionnels et techniques ainsi que le ministère de l’Enseignement supérieur, est de 252 595 876 503 FCFA. Mis en rapport avec le budget global de l’Etat qui s’élève à 1900,86 milliards de francs CFA, cela représente moins de 13,5% du budget de l’Etat équivalent à 256 500 000 000 FCFA.

En ce qui concerne les 15 000 classes construites, il n’y a pas matière à débat puisque j’ai été le premier, dès vos toutes premières annonces, à vous dire que vous gagnerez en crédibilité en arrêtant de revendiquer une telle performance. Peut-on raisonnablement revendiquer d’avoir construit une classe en matériaux définitifs en un jour ? Or, dans votre cas, vous revendiquez une moyenne de plus de huit (08) classes par jour.

À propos du caractère gratuit et obligatoire, un vieil enseignant à la retraite m’a fait observer qu’il suffisait de décréter les choses pour qu’elles soient, vous n’auriez pas trouvé quelque chose à faire à la tête de l’Etat. Pour ma part, je relève que l’école n’a jamais été aussi onéreuse que sous votre magistère ; que la formation professionnelle et technique ne dispose qu’un ridicule budget de 23 366 047 376 FCFA et que si vous n’avez pu le faire progresser que de 17% en cinq ans en contexte de ressources abondantes, comment pourriez-vous le faire passer de 15% alors que vous peinez à faire face aux charges élémentaires de souveraineté ?

Quant à l’enseignement de l’histoire des religions dans les écoles coraniques, j’ai compris pourquoi : dans ce contexte de lutte contre le terrorisme, un discours pareil peut séduire un Occident si sensible à ces sonorités.

Monsieur le ‘’Président’’

Dans la même logique, je vous ai entendu soutenir que la loi de finances 2018 n’est pas antisociale et que son objectif est de répondre aux préoccupations des Nigériens ; que jusqu’ici, le financement du budget nigérien a trop dépendu de l’extérieur ; qu’il n’y a pas de pays où on ne paie pas d’impôt ; que la pression fiscale n’est que d’environ 16% contre 44% pour un pays comme la France ; que l’immense majorité du nigérien a compris ça, etc.

Je trouve que, non seulement vous êtes en grave décalage des réalités sociales de votre peuple, mais que votre discours n’est même pas conforme à la ligne que vous défendez. Pour le décalage, je n’y peux rien. Par contre, je peux attirer votre attention sur les mouvements sociaux qui s’amplifient et qui prouvent que la loi de finances 2018 est bien antisociale. Vous pouvez continuer à ignorer les préoccupations du peuple nigérien, à parler de succès là où l’échec crève les yeux du premier étranger qui arrive au Niger ; à parler d’autosuffisance alimentaire alors que des populations entières fuient leurs terres ancestrales pour se réfugier dans les grands centres urbains à la recherche de pitances tandis que d’autres se lancent dans une quête de grains dans des termitières. De même, vous pouvez encenser tous les publics extérieurs possibles avec cette histoire de 25% du budget de l’Etat qui serait consacré à l’éducation ou encore de ces 15 000 classes construites en cinq ans, vous ne réussirez qu’à creuser davantage le fossé qui vous sépare de votre peuple. Aucun discours ne peut occulter ces réalités et ces faits.

Monsieur le ‘’Président’’

J’ai remarqué que, comme sous les régimes dictatoriaux vomis de leurs peuples, le Palais des congrès est rempli d’hommes habillés à l’occasion de grandes rencontres internationales. Avec la rencontre au sommet du G5 Sahel, c’est encore le cas avec tous ces paramilitaires qui ont pris d’assaut la grande salle des spectacles et qui servent désormais de décor immuable pour l’accueil de vos hôtes de marque. C’est un indicateur sur les rapports véritables que vous entretenez avec votre peuple. Bon, ça, ce n’est qu’une parenthèse pour vous dire que vous mettez mal à l’aise tous ces porteurs de tenue et certainement vos hôtes qui se font une idée précise de votre gouvernance.

Monsieur le ‘’Président’’

Vous qui avez choisi de renforcer la pression fiscale sur votre peuple, y compris en taxant les produits alimentaires de première nécessité, plutôt que de mener une lutte véritable contre les détournements de deniers publics, les trafics de drogues et de devises, la corruption et délits assimilés, etc. C’est un choix qui suffit à comprendre que votre état d’esprit et vos préoccupations. Soit dit en passant, vous avez fait des cadeaux fiscaux à des sociétés étrangères qui font dans le profit. Est-ce ça les préoccupations du peuple dont vous parlez ? Vous avez taxé le tableau d’école, les cahiers, les produits alimentaires. Est-ce ça les préoccupations du peuple dont vous parlez ? Lors du forum sur le financement de l’éducation en Afrique, récemment tenu à Dakar, le président ghanéen, Nana Akufo Ado, qui n’est pas certainement loin de son peuple, a tenu des propos qui ne sont pas pour plaire à tout le monde, notamment ceux qui pillent leurs pays et qui planquent des milliards dans des comptes bancaires à l’étranger tandis que leurs pays meurent. Voici ce qu’il a dit : « …Nous ne pouvons pas dépendre des autres pour financer l’éducation de nos pays…Nous avons des fonds en abondance, si nous éliminons la corruption de notre continent…50 milliards de dollars sont envoyés chaque année hors d’Afrique à travers des nids de corruption ». Je n’ai rien à dire là- dessus, vous connaissez l’ampleur et l’étendue de la corruption au Niger mieux que moi.

Mallami Boucar  
12 février 2018
Source : Le Monde d'Aujourd'hui