J’écrivais notamment que « c’est en 2010 que le royaume saoudien, pour garantir sa sécurité alimentaire, a décidé d’investir dans l’achat de terres étrangères. Une demi-douzaine d’investisseurs saoudiens ont alors, dans la lancée, annoncé la création d’une compagnie d’investissements agricoles, avec un capital de deux milliards de rials (533,3 millions de dollars). Le capital de la nouvelle entité, International Agriculture and Food Investment Company (Agroinvest), est fondé sur un partenariat public-privé : 25% du capital appartient à ses membres fondateurs (privé) tandis que le reste vient du Fonds public d’investissement du ministère des Finances, de fonds de pensions saoudiens et du public par l’introduction en bourse de la société. Voici, en résumé, l’histoire de l’hydre qui va nous manger ou plutôt qui a commencé à nous avaler. Al Horaish for Trading &Industry est un monstre pour le Niger. Et pour nous, il n’y a aucune différence entre Boko Haram qui empêche nos frères de Diffa de vaquer tranquillement à leurs occupations pour vivre du travail de leur labeur et ceux qui leur arrachent leurs terres pour les vendre à des étrangers. Dans les deux cas, on appauvrit les populations, les clochardise afin de les transformer en étrangers sur leurs propres terres. N’est-ce pas simplement cruel de faire des affaires sur le dos des populations ? ». S’il est vrai, note Alternative Espace Citoyen, que l’un des objectifs poursuivis par ces investisseurs est bien sûr d’assurer l’approvisionnement du royaume, il n’en demeure pas moins vrai que leur motivation première vient d’abord de la perspective de gains financiers faciles liée à la croissance prévisible de la demande alimentaire mondiale. « La plupart des projets portés par les investisseurs des pays du golfe, en particulier ceux d’Arabie Saoudite et du Qatar, s’inscrivent eux dans une double optique : d’abord, sécuriser des terres et de l’eau en dehors de leur territoire en vue d’assurer outremer la production de nourriture pour leur population croissante ; puis, fructifier rapidement, à travers des investissements dans l’agriculture, les immenses fonds générés par l’exploitation pétrolière et la spéculation sur les marchés financiers mondiaux ».
Monsieur Issoufou, j’ai appris, par Alternative Espace Citoyen à qui j’enlève humblement le chapeau pour avoir mis à nu ce projet criminel, que ce sont, pas moins de 120 000 ha de terres qui sont concernés, soit en termes clairs, un périmètre de 40 km de long et 30 km de large et que ces sols, les plus fertiles du Niger, vont être cédés à ces Saoudiens qui, eux, ont plutôt à cœur la recherche des moyens pour nourrir et enrichir leur peuple, pas de l’appauvrir. J’ai été choqué d’apprendre que ces Saoudiens vont bénéficier de nos terres en raison de 10 000 FCFA l’hectare pour une durée de 99 ans et que, suprême insulte, L’État contribuera à « assassiner » ses propres fils en contribuant à ce crime à hauteur de 1 616 milliards FCFA en termes d’exonération.
Que le montant annuel de la redevance pour la location des terres est fixé à 500 millions de FCFA entre la 1ère et la 3e année d’exploitation, 700 millions de FCFA entre la 4e et 6e année d’exploitation et un (1) milliard de FCFA à partir de la 7e année.
Que Pendant toute la durée du projet, la société Al Horaish bénéficiera de divers avantages fiscaux, aussi bien pendant la phase de conception et réalisation du projet que pendant la phase d’exploitation. Ces avantages fiscaux comprennent notamment des exonérations des taxes et droits perçus par l’État, y compris la taxe sur la valeur ajoutée, l’impôt sur les bénéfices et de l’impôt minimum forfaitaire ; mais aussi, un régime de stabilité fiscale pendant toute la durée du projet, permettant à Al Horaish d’échapper à tous les impôts et taxes à caractère fiscal dont la création est intervenue après la signature du contrat, sauf lorsque cela lui est profitable.
Que le projet de la société Al Horaish est porteur de graves menaces sur les droits fonciers des communautés locales, l’article 23 du projet de contrat disposant clairement que la signature dudit contrat « vaut autorisation d’occupation du domaine public constitutive de droits réels » ; non sans préciser que six (6) mois après l’entrée en vigueur du contrat, « le délégant met les terrains, purgés de tout droit de tiers, à la disposition du délégataire ».
Que cet article ajoute également que « les terrains déclarés d’utilité publique et mis à la disposition du délégataire doivent être libres de toute entrave autres que : (i) les servitudes administratives et d’urbanisme définis par les documents d’urbanisme applicables ; et (ii) les servitudes conventionnelles, légales et judiciaires ».
Monsieur Issoufou, lorsque je vois tant de leaders politiques vous soutenant dans ces graves dérives qui menacent l’existence même du Niger en tant qu’État souverain, j’ai très mal pour notre pays. Je ne comprends pas, notamment, qu’un Moussa Moumouni Djermakoye, un soldat de carrière qui a fait le serment de servir son pays au péril de sa vie, puisse continuer à accepter de vous suivre dans cette logique suicidaire pour le Niger ? Qu’un Seïni Oumarou vous rejoigne et qu’il vous accorde un chèque en blanc pour agir à votre guise alors que la situation lui commande de s’opposer avec véhémence à vos projets funestes ? Que Hamid Algabit, Cheffou Amadou, Abdou Labo, entre autres, continuent à se comporter en spectateurs engagés alors que le Niger est en train de sombrer dans le chaos ? Que des intellectuels, universitaires et autres, parfaitement avisés du drame qui se joue actuellement, continuent de garder le silence là où leur statut et leur savoir leur commandent de réagir vigoureusement.
Je sais que l’indignation des populations nigériennes importe peu pour vous et que s’il le faut, vous agirez à donner raison à ces chefs traditionnels de la région qui estiment qu’ils n’entendent pas accepter de plein gré ce projet criminel mais qu’on peut certainement le leur arracher par la force. C’est vraiment triste !
Je sais qu’au besoin, ce sont des éléments des Forces de défense et de sécurité nigériens qui seront mis à disposition des Saoudiens pour garantir leur tranquillité pendant qu’ils œuvrent à poser les jalons de la sécurité alimentaire et de la prospérité économique de leur pays. Chose que vous n’avez pas pu faire aux populations victimes des exactions de Boko Haram, obligées de vivre aujourd’hui en refugiés sur leurs propres terres. Quel est le Nigérien, patriote sincère, qui n’a pas eu le cœur brisé en apprenant que vous n’avez rien trouvé de mieux pour les populations nigériennes de Diffa que de céder leurs terres à des étrangers qui cherchent, eux, à nourrir les leurs ? Je considère personnellement que c’est une honte pour l’Arabie Saoudite de mettre l’immense fortune dont Dieu l’a dotée au service d’une politique dépravée qui vise à exploiter la pauvreté d’autres communautés musulmanes pour s’accaparer de leurs terres. Mais, est-ce vraiment la faute à l’Arabie Saoudite ? Non ! Si vous passez des intentions qu’on vous prête à l’acte, la faute vous incombe entièrement et les Nigériens, croyez-moi, ne vous pardonneront jamais un tel acte. Déjà que vous en avez plein dans la balance.
Monsieur Issoufou, est-ce ça, votre 3N ? Est-ce ça qui se trouve dans les plis de votre cœur ? N’est-ce pas, ça, le véritable coup de poignard dans le dos du peuple nigérien ? Et dire qu’il y a des compatriotes qui vous apportent force et soutien dans cette œuvre que je me garderai de qualifier de satanique. Toutefois, je voudrais vous dire une chose : si vous tenez à aider ces capitalistes saoudiens à faire main basse sur nos terres du bassin du lac Tchad, c'est-à-dire à déposséder des milliers de Nigériens de leurs terres nourricières — j’ignore pour quelle motivation — autant leur ôter d’abord la vie pour proclamer la vacance des terres convoitées.
Mallami Boucar
02 février 2017
Source : Le Monde d'Aujourd'hui