C’est la raison pour laquelle, me confie-t-on, ils ne fléchiront jamais. Ils ont beau être isolés, traumatisés par de fausses informations liées à une éventuelle libération, ils resteront les mêmes adversaires que vous avez connus, avec une foi politique intacte. En fin de compte, vous aurez fait perdre à ces hommes des années précieuses de leur vie en les privant de leur liberté et d’une vie de famille heureuse, mais votre objectif ne sera pas atteint.
Monsieur Issoufou, la compétition politique n’est pas un champ de bataille dévoué à une lutte à mort qui implique tous les coups. La démocratie, qui vous a permis d’être là où vous êtes, est d’abord bâtie sur l’acceptation, par tous, du principe de l’alternance. S’inscrire dans une logique d’éternité à la tête de l’État est un piège mortel qui conduit à des permissions dont les conséquences peuvent se révéler redoutables. Et même lorsque cette « éternité » se limite dans les délais des deux mandats admis par la Constitution, elle ne peut justifier que vous vous fassiez adepte de la loi dite « La fin justifie les moyens ». La preuve, vous êtes à la tête de l’État depuis bientôt un an depuis le hold-up électoral du 20 mars 2017 et selon toute vraisemblance, ces 12 mois supplémentaires constituent le temps de trop que vous n’auriez jamais dû accepter. Avec tous ces scandales qui vous empoisonnent la vie, je comprends bien que ces 12 mois ont été un véritable purgatoire pour vous. Comme quoi, la notion de liberté est relative. Quel bonheur peut-on éprouver à la tête d’un État qui est sur le point de perdre ses biens immobiliers à l’étranger. Des biens immobiliers qui ont été acquis depuis de longues décennies, sous Hamani Diori et SeyniKountché et qui sont sous le coup d’une saisie, conséquence désastreuse des agissements de vos plus proches collaborateurs. Quel bonheur peut-on également ressentir lorsque le monde entier découvre, scandalisé, que votre directeur de Cabinet de l’époque, Hassoumi Massoudou, a ordonné le transfert de 200 milliards du Niger, d’un compte public de l’État vers un compte offshore, à Dubaï, probablement pour des fins personnelles ? Ces deux affaires sont un boulet insupportable pour vous et je suis certain d’une chose : vous allez sans doute vous livrer à une sorte de supplice de Sisyphe, mais vous n’arriverez jamais à vous défaire de ces deux boulets.
Monsieur Issoufou, vous êtes face à un dilemme cornélien et je ne voudrais, pour rien au monde, être à votre place. Car, vous n’avez même pas, malheureusement, la marge de manœuvre que s’aménage tout homme d’État, c’est-à-dire garder, quoi qu’il arrive, la latitude de « trancher » les têtes pourries du système. Dans l’affaire d’Africard comme dans celle des 200 milliards, votre ombre, je vous l’avais dit, est clairement perceptible. Je comprends, donc, que vous n’ayez qu’un choix : faire tout pour sauver les «soldats»dont vous avez parfaitement connaissance des missions. Cette mission est de la plus haute délicatesse. Dans la première affaire, le Tribunal de Nanterre vient d’enlever à notre pays ses dernières prétentions. Et j’ai été personnellement scandalisé que, pour tout élément nouveau, Gandou Zakara et Cie n’avaient soumis à la Cour que des copies de courriels dont ils n’ont jamais pu prouver l’authenticité. N’est-ce pas déplorable ? Je me demande d’ailleurs comment ils ont pu entrer en possession des courriels de maître Souleymane Yankori qui n’est autre que l’avocat de la société Africard au Niger. Soit il a été contraint par des moyens délictueux de livrer le code d’accès à sa boîte mail ; soit, il a décidé, option désastreuse pour un avocat assermenté, de monnayer son soutien à un bras de fer judiciaire perdu pourtant à l’avance. Dans l’un comme dans l’autre cas, la question demeure pertinente : comment le gouvernement nigérien est-il parvenu à se procurer l’accès à des messageries privées appartenant au Conseil de la partie adverse ?
Monsieur Issoufou, j’ai appris, en parcourant la décision du Tribunal de Nanterre, que la société Africard va procéder, à court terme, à la vente de l’immeuble deCentral Park, aux USA. C’est un vrai désastre ! C’est pourquoi, je présume qu’en votre âme et conscience, vous souffrez énormément d’être celui par qui le Niger vit tant de drames. Vous êtes au cœur d’un système que vos compatriotes jugent pourris et atteint dans ses limites objectives. Tout est scandale : au plan financier, mais aussi politique et social. Les poutres du système sont rongées par les termites et il n’est pas exclu que tout s’écroule comme un château de cartes. Lorsque des affaires scabreuses comme celle des 200 milliards sont dans la rue, c’est que le système est atteint au cœur. La commission d’enquête parlementaire qui a été installée hier, lundi 20 mars, porte le signe funèbre du hold-up électoral. Cette commission ne peut aboutir qu’à deux résultats plausibles : vous accabler ou faire un autre « hold-up » en empêchant, par tous moyens, d’aboutir aux résultats appropriés. Car, Hassoumi Massoudou ne peut se tirer d’affaire dans ce scandale. Les preuves de sa forfaiture sont là : comment peut-il expliquer à la commission qu’il soit l’ordonnateur d’un compte de la Sopamin alors qu’il n’était ni directeur général de ladite société, ni président du Conseil d’administration ou ministre de tutelle ? Comment peut-il justifier ce transfert de 200 milliards d’un compte public de l’État vers un compte offshore, à Dubaï ? Bref, je peux continuer à égrener les questions compromettantes, mais à quoi bon puisque le monde entier est convaincu des délits constatés. Jeune Afrique, que j’ai lue, ne peut faire mieux, dans cette affaire, que ce qu’elle a fait. Elle a son image à sauvegarder et elle n’est pas prête à outrepasser certaines limites. Même dans le cas où elle devait être liée par un contrat.
23 mars 2017
Source : Le Monde d'Aujourd'hui