Baba Alpha n’est pas seulement un prévenu, il est aussi un prétexte. Son interpellation délie les langues, active les bas instincts, ouvre des débats dans lesquels le bon et le mauvais, l’exécrable et l’inadmissible, l’ignorance crasse et la bêtise indécrottable se côtoient. Baba Alpha est un abcès qui en dit long sur l’état de santé de notre société.
Notre société est malade. Elle est malade de ses fils qui divisent les Nigériens en catégories, ces fils qui croient qu’ils forment la catégorie au-dessus de toutes les catégories; ces fils qui accolent l’épithète vraie à leur nigérienneté et pensent qu’il y a de faux Nigériens.
Pour eux, les faux Nigériens portent des patronymes provenant de contrées proches ou lointaines, revêtent de petits habits plutôt que de grands boubous. Sidibé, Diallo, Kanté, Coulibaly sont priés de faire profil bas. À Ba, Barry, Hountondji, Ouédraogo, Wright, pour ne citer qu’eux, on demande de retourner dans leur pays. Mais de pays ils n’en ont d’autre que celui qu’il partage avec vous.
Vrais Nigériens, Nigériens de souche, Nigériens vaniteux, quel mérite avez-vous à habiter ce territoire dont les limites ont été tracées à la règle et à l’équerre, à Berlin, il y a cent trente deux ans?
À cette conférence qui attribuera à la France le terroir qui deviendra plus tard le Niger, vous n’aviez aucun représentant : vos ancêtres étaient absents, vous n’étiez pas encore nés. Ni vos ancêtres ni vous n’avez aucune responsabilité dans la création de ce pays. Vos ascendants y ont été confinés, vous y êtes venus par la naissance, comme les descendants de ceux que vous stigmatisez. Leurs parents sont venus d’ailleurs, mais ils sont nés ici, comme vous, et ne connaissent d’autre pays que celui que vous leur refusez.
Mais savez-vous pourquoi et comment, leurs ancêtres sont venus? La possession française qui deviendra votre pays, était un coin de l’empire colonial, entité de l’AOF, elle a été tour à tour un territoire militaire, un territoire civil, une colonie, un territoire d’outre-mer, une République autonome au sein de la Communauté française.
La colonie du Niger était la plus pauvre des possessions françaises, la moins avancée sur les plans économique et social. Son administration et sa mise en valeur exigeaient du personnel et une main d’œuvre qualifiée que le Niger n’avait pas. Le colonisateur les fera venir des colonies plus avancées. Ils viendront pour assurer la sécurité du maître et pour asseoir son autorité, ils viendront pour construire des bâtiments et des routes, ils travailleront dans le domaine de la santé, de l’agriculture et de la communication. Ils s’occuperont du transport et du commerce. Enseignants, ils instruiront et éduqueront les petits Nigériens. Plusieurs d’entre eux ont choisi de rester ici, d’y faire souche et d’avoir une progéniture.
Qu’ils s’appellent Konaté, Diop, Kapochichi, André, Jacques ou Pierre, ils ont par la force de leurs bras, par leur intelligence, contribué à la construction du pays qui est le vôtre, mais aussi celui de leurs descendants.
Farmo M.
02 avril 2017