5000 tonnes de riz d’une aide alimentaire pakistanaise ont été détournées et vendues pour leurs profits personnels par des personnes que vous connaissez certainement, à un moment (mars 2016) où des millions de Nigériens étaient dans un besoin d’assistance alimentaire et nutritionnelle. Les Nigériens ont attendu de voir le gouvernement réagir spontanément et vigoureusement à ce scandale, mais rien. Rien que le silence méprisable de gouvernants qui pensent qu’ils pourraient vendre une partie du territoire national sans dommage ni préjudice.
200 milliards ont été soutirés, par les soins de votre directeur de Cabinet de l’époque, d’un compte public de l’État et transférés dans un compte privé, à Dubaï. Comme à votre habitude, vous avez joué la carte du soutien ferme au mis en cause parce qu’il est des vôtres. À l’occasion de votre récent séjour en France, vous avez signé votre position dans cette scabreuse affaire d’uraniumgate : vous êtes derrière Hassoumi Massoudou et vous ne le laisserez pas tomber. Or, Hassoumi Massoudou n’a plus rien à faire dans un gouvernement. L’y maintenir et le protéger, c’est avouer une solidarité dans le délit.
Monsieur Issoufou, j’ai appris que vous êtes finalement revenu à Niamey, le samedi 1er avril 2016 et que vous y êtes revenu encore plus perplexe que le jour de votre départ de Niamey, le samedi 24 mars 2016. Vous avez raison d’être ainsi, car lorsqu’on a passé une semaine à attendre celui que l’on est allé voir, avec tout le beau monde que vous avez entraîné avec vous, à Paris, et qu’en fin de compte l’on ne récolte que déception, contrariété et angoisses, l’on ne peut être que maussade. Ah, qu’ils nous empêchent tous de dormir, ces 200 milliards. Vous, parce que vous avez à expliquer à vos compatriotes où sont ces 200 milliards qui ont été soutirés d’un compte de l’État du Niger pour être dirigés, par virement bancaire sous les ordres de votre propre directeur de Cabinet de l’époque, Hassoumi Massoudou, vers un compte privé, à Dubaï. Vos compatriotes, la société civile en particulier parce qu’ils sont préoccupés par les voies à suivre afin de faire rentrer l’État dans ses droits. Pour beaucoup de compatriotes, c’est l’uraniumgatequi expliquerait votre séjour en France. Est-ce vrai ou pas, je n’ai pas encore d’informations tendant à l’infirmer ou à le confirmer. Par contre, j’ai été frappé par l’absence de tant de personnalités du pays alors que le corps deOuendebaWotorou, de son vivant Haut commissaire à l’initiative 3N, décédé, à Abidjan le 28 mars 2017 alors qu’il s’y trouvait en mission, était arrivé à Niamey pour son inhumation. BrigiRafini était bien là, mais est-ce suffisant pour saluer la mémoire d’un si haut cadre de l’administration à qui vous avez confié une des missions les plus importantes pour les Nigériens ? Il est bien vrai que le programme 3N a été plus une caisse de slogans qu’un véritable projet dédié à vaincre l’insécurité alimentaire. Mais de là à voir tant de vos collaborateurs se ruer à Paris alors qu’un devoir moral les y attend à Niamey, il y a de quoi s’interroger sur ce choix insolite.
Monsieur Issoufou, J’ai d’ailleurs lu et relu votre interview à l’occasion de l’an 1 du hold-up électoral de mars 2016 et j’ai été frappé par un autre fait insolite : nulle part, à aucun moment, même lorsqu’il vous est arrivé de parler de l’Initiative 3N, vous n’avez fait la moindre allusion à cette disparition tragique de votre collaborateur, mort en mission, en Côte d’Ivoire. Je m’attendais à un hommage vibrant de votre part au défunt Haut commissaire à l’initiative 3N, mais rien. Aucun mot, aucune allusion à cette disparition. Pourtant, votre interview a été réalisée, au moins, quatre jours après le décès subit de votre collaborateur. C’est la première aberration que j’ai relevée de cette insolite interview mais c’est loin d’être la seule. Il y en a plein mais je retiens trois qui me semblent essentielles. À la suite de Hassoumi Massoudou, vous avez confirmé que c’est en moyenne 10% des ressources budgétaires qui sont investis pour équiper les FDS, accroître leurs effectifs et les former. Si l’on doit accorder du crédit à ce chiffre, ce n’est, donc, pas moins de 150 milliards en moyenne que vous dites avoir investi dans les FDS chaque année si l’on prend une moyenne de 1500 milliards de budget annuel sur les six années de votre magistère. C’est loin d’être exagéré, n’est-ce pas ? Sur les six ans, le montant global affecté aux FDS fait 900 milliards de francs CFA, ce qui semble monumental. Personnellement, j’en doute. C’est pourquoi je laisse le soin aux connaisseurs de la chose, notamment les bénéficiaires, d’en juger.
La deuxième aberration que j’ai relevée dans cette interview et peut-être qu’elle doit être la première, c’est qu’on a l’impression que c’est Fogué Aboubacar qui est interviewé et non vous, en ce sens que les réalités tangibles du Niger et des sujets abordés ressortaient plus et mieux dans les questions posées que dans vos réponses. Fogué a sans doute conduit l’interview la plus difficile de sa longue carrière. Je vous donne un exemple.
Fogué : « n’y a-t-il pas la nécessité de réformer cette initiative [Ndlr : Initiative 3N] pour qu’elle traduisevéritablement dans les faits cette noble vision que vous avez eue pour notre peuple » ?
Vous : « L’initiative 3N est traduite dans les faits ».
Le décalage, voire le fossé, est clairement perceptible. MalamFogué estime que l’Initiative 3N est restée théorique, une simple boîte à slogans et qu’il va falloir sortir du "rêve" en entreprenant des réformes susceptibles d’en faire un programme concret et tangible. En un mot, MalamFogué ne croit pas en votre discours et cela ne vous a pas d’ailleurs échappé puisque vous l’avez immédiatement contré en rétorquant que l’initiative 3N est déjà une réalité.
Je peux multiplier ces exemples qui montrent que Fogué Aboubacar a souffert dans cette interview où il a constamment avalé des couleuvres, cherchant désespérément des aspects sur lesquels vous pourriez apporter des réponses que corroborent les faits. Malheureusement, la réalité lamentable de vos "projets" ne vous facilite pas la tâche. D’où la troisième aberration que j’ai relevée dans la réponse que vous avez donnée à propos de l’État démocratique et ce qui fonde sa solidité. Vous avez notamment affirmé que « Une des conditions pour que l’État démocratique soit fort et solide, c’est que l’État puisse avoir beaucoup de ressources ». Comment peut-il être ainsi lorsque des individus, au plus haut sommet de l’État, se permettent de soutirer 200 milliards d’un compte public de l’État et de les mettre en lieu sûr, pour des besoins personnels ?Comment peut-il être ainsi, même dans le cas où le civisme fiscal est très développé, lorsque des individus sans scrupules se permettent de détourner et de vendre à leur profit personnel, 5000 tonnes de riz d’une aide alimentaire gracieusement offerte par un pays ami et que vous semblez le cautionner ?Comment peut-il être le cas lorsque le président de l’Assemblée nationale et son Premier-vice président sont pris, la main dans le sac, dans une violation de la loi pour s’octroyer des indemnités de départ frauduleuses et qu’aucune justice ne leur demande des comptes ?
Monsieur Issoufou, la République que vous incarnez baigne dans un fleuve glauque de scandales et vous savez bien qu’une interview, deux ou même mille, ne changeront rien à la situation catastrophique du Niger. À votre avis, peut-on objectivement opposer des mots à des maux ? La communication, c’est l’art d’exploiter le réel, pas d’inventer des choses qui n’existent pas. Ce n’est pas de la magie. C’est pourquoi j’estime que vous auriez dû vous passer de faire cette interview. Elle ne rime à rien. Et depuis six ans, c’est la même chose : célébrer en permanence l’échec et le désastre. Gorou Banda, que vous avez inaugurée, le dimanche 2 avril dernier, est un désastre financier, économique et écologique dont vous êtes parfaitement conscient. Pour nos compatriotes qui ne comprennent pas l’ultime gouffre financier que vous venez de creuser sous leurs pieds, je rapporte, ici, les explications pertinentes qu’Albert Wright, ingénieur énergéticien et ancien collaborateur du Professeur Abdou Moumouni à l’Office de l’énergie solaire, de 1972 à 1985, a données à propos de ce projet surréaliste que vous avez tenu à réaliser, au grand dam du peuple nigérien qui paiera à grand coût les frais de cette incartade. Voici ce qu’il a dit, malheureusement, dans un environnement politique totalement autiste :
« …construire en 2013 une centrale diesel de 100 MW, ce n’est pas un choix pertinent dans un pays comme le Niger qui dispose de tant de potentiel solaire. Ce choix, dis-je, n’est pas judicieux tant du point de vue économique qu’environnemental.Au plan économique,Gorou Bandava, selon le ministère en charge du dossier, « produire annuellement 500 gigawatts (GW). » Je sais que pour produire un (1) GW électrique, il faut environ 250 tonnes de gasoil. C’est dire que le fonctionnement de cette centrale, même si on minore à 240 tonnes par GW en cas de performance des machines, va nécessiter 130.000 tonnes de gasoil par an. Même lorsqu’on prend le litre de gasoil qui se vend à la pompe à environ 540f à Niamey à 500f, en considérant que l’État ne paie pas les taxes y afférentes, le fonctionnement de la centrale va coûter, rien qu’en carburant, environ 52 milliards de francs CFA chaque année.Au coût du carburant, il faut aussi ajouter celui des lubrifiants. Pour ce dernier, selon les spécialistes (ingénieurs électriciens), il faut compter à peu près 15% du coût du carburant. Sans compter les coûts d’exploitation, les charges diverses qui peuvent s’élever au moins à environ 12%, le personnel…etc. À tout ceci, il faut ajouter l’entretien et le renouvellement du parc car un moteur, ça s’use. Et en général, c’est calculé pour des durées de vie de 15 ans. Autrement dit, tous les 15 ans il faudra faire face à des charges, soit de changement de pièces de rechange, soit pour tout ou partie du système. Ainsi les charges annuelles d’exploitation vont être environ de l’ordre de 80.000.000.000 FCFA, soit pratiquement l’équivalent du coût de la centrale elle-même. Calculez cela sur six (6) ou sept (7) ans. Vous aurez beaucoup de mal à rentabiliser votre centrale, surtout si votre intention, comme nous l’a dit le ministre de l’énergie, est « de maintenir un coût acceptable de vente du KW. » Si vous vendez 500GW d’électricité annuelle produite par la centrale à 79FCFA le KW, je ne fais pas le calcul sur la base des 79,25 FCFA comme c’est le cas actuellement, vous allez encaisser 39,5 milliards. Alors, regardez un peu l’écart pour ne pas dire l’anomalie : vous brûlez 52 milliards de gasoil, pour encaisser environ 40 milliards. Pensez-vous que c’est judicieux ? NON !Dans ce contexte, cela signifie que le déficit sera supporté, soit avec le budget de l’État, soit, nécessairement, en augmentant le prix du KW. Et pour rentabiliser une centrale diesel, il faudrait vendre le KW au moins à 180 FCFA, soit plus de deux (2) fois son coût actuel.
Au plan environnemental, […] une centrale comme celle de Gorou Banda rejetterait beaucoup de Co2, résultat de la combustion du diesel. La centrale de Gorou Banda va brûler environ 356 tonnes de gasoil par jour, soit l’équivalent de 10 citernes de 35 mètres cube. Cela ferait une quantité de 462 kilotonnes de Co2 à rejeter dans l’atmosphère tous les ans. En termes financiers, cela peut coûter entre 4.000.000.000 et 5.000.000.000 FCFA de pénalités par an au titre de contribution au « fonds carbone » auquel contribuent les pays développés pour le financement de contrepartie des pollutions atmosphériques engendrées par leurs usines.En outre, j’ai appris que la centrale sera construite sur les collines qui sont à Harobanda, derrière le fleuve. Peut-être que le vent ne souffle pas en direction de la ville ; mais le jour où cela va se produire, le centre urbain sera soumis à des fumées de combustion du diesel, sans compter les risques que nous respirions du Co2. C’est inévitable, et même sûr ».
Monsieur Issoufou, Gorou Banda est un désastre, comme votre rail, comme tout, pratiquement, que vous avez entrepris depuis six ans.
Mallami Boucar.
07 avril 2017
Source : Le Monde d'Aujourd'hui