Le principal opposant, Hama Amadou, pourrait voir sa candidature pour le scrutin de décembre invalidée par la Cour constitutionnelle.

Il dit n’avoir plus rien à perdre et être prêt à tout pour défendre ses droits politiques. Hama Amadou n’a pas l’intention de voir l’élection présidentielle nigérienne se dérouler sans lui, le 27 décembre. Le chef de file de l’opposition a annoncé sa candidature le 19 septembre. Mais la Cour constitutionnelle pourrait l’invalider en raison de sa condamnation, en 2017, à un an de prison ferme dans une affaire sordide et controversée. Selon la justice nigérienne, le chef du parti Moden Fa Lumana aurait participé à un vaste trafic de bébés, achetés au Nigeria voisin et vendus à des familles au Niger.

En 2016, lors du dernier scrutin présidentiel, ce dossier l’avait déjà contraint à mener campagne derrière les barreaux. Depuis cette époque, M. Amadou n’a eu de cesse de nier les faits, dénonçant une campagne de persécution organisée par le pouvoir de l’actuel président Mahamadou Issoufou dans le but de l’empêcher d’accéder à la magistrature suprême. Pour ce scrutin, M. Issoufou, qui a déjà réalisé deux mandats, a choisi son dauphin : Mohamed Bazoum, son ancien ministre de l’intérieur, portera les couleurs du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS).

« Hors d’état de nuire »
« Une candidature doit-elle se faire dans le respect des textes qui régissent le Niger ou à la tête du client, en fonction des risques qu’elle représente pour le PNDS ? », fait mine de s’interroger M. Amadou. Avant d’assurer : « Tout ce qu’ils racontent sur moi est faux ! Cette fois, il est hors de question que mes partisans et moi les laissions utiliser des artifices juridiques pour m’écarter de la course. » Selon l’article 8 du Code électoral que brandissent ses adversaires, les citoyens condamnés à une peine de prison ferme d’un an ou plus ne peuvent être candidat. Le chef de file de l’opposition, lui, préfère mettre en avant la Constitution de son pays, selon laquelle les Nigériens « de nationalité d’origine », « jouissant de leurs droits civils et politiques » sont éligibles à la présidence. Ces droits, M. Amadou les a toujours, car malgré sa condamnation le juge n’a pas prononcé de peine additionnelle pour les lui retirer.

« La Constitution est explicite. Moi, je suis né au Niger, mes parents sont nés au Niger », ajoute-t-il. Cette revendication pleine de sous-entendus vise M. Bazoum. Depuis plusieurs semaines, des rumeurs venues de l’opposition affirment que le candidat de la majorité, originaire d’une tribu arabe vivant entre la Libye, le Tchad et le Niger, ne serait pas né sur le sol nigérien. Dans ces conditions, comment les sages nigériens – dont M. Amadou questionne la neutralité – pourraient-ils assumer l’invalidation de sa candidature sans remettre en doute celle de son adversaire ? La Cour constitutionnelle a jusqu’au 1er décembre pour se prononcer.

Depuis son siège de campagne, Mohamed Bazoum affirme qu’il prend toutes ces accusations avec sérénité : « Il sous-entend que je ne suis pas nigérien… Ça ne me fait rien, il me fait juste pitié, lui rétorque-t-il. Hama est un homme qui essaie de souffler en vain sur les braises. Il réduit la politique à sa personne. Nous, on l’a affaibli politiquement. On l’a mis hors d’état de nuire. »

« Hold-up électoral »
Ces échanges de noms d’oiseau en disent long sur la crispation du climat politique, à moins de trois mois du scrutin. M. Amadou, ancien premier ministre et ex-président de l’Assemblée nationale, est la bête noire du pouvoir depuis des décennies. Au sein de l’opposition, il conserve sa capacité de mobilisation, dans la rue comme dans les urnes. En 2016, malgré une campagne menée depuis sa cellule, M. Amadou se qualifia pour le second tour, avant de finir écrasé par M. Issoufou : 92,5 % des votes pour l’actuel président, à peine 6 % pour lui. « Faux second tour », avaient alors fustigé ses proches, dénonçant, à l’instar d’observateurs tels que l’ONG américaine Freedom House, des irrégularités comme l’achat de votes, le vote de mineurs ou encore le trucage des résultats.

Mais ces accusations ont eu l’effet d’un coup d’épée dans l’eau. Quatre ans plus tard, l’opposition craint que l’histoire ne se répète. Pour tenter de barrer la route à la majorité, elle a donc choisi la voie du rassemblement : 18 partis se sont réunis au sein d’une nouvelle alliance électorale baptisée Cap 21. Tous s’engagent à soutenir le candidat de la coalition arrivé en meilleure position au premier tour en vue du second.

Cour constitutionnelle et Commission électorale nationale indépendante (CENI) « acquises » au parti présidentiel, fichier électoral et audit « biaisés », diaspora non enrôlée et utilisation supposée des moyens de l’Etat pour faire campagne avant l’heure par le candidat Bazoum : les griefs de l’opposition sont nombreux. « Ils sont en train de préparer un hold-up électoral, dénonce Ibrahim Yacouba, lui aussi candidat et membre de Cap 21. Tout le processus a été construit unilatéralement par la majorité dans un seul but : maintenir le PNDS au pouvoir. »

« Jouer la poire molle »
A la CENI, le président, Issaka Souna, dit attendre à bras ouverts une opposition qui boycotte son institution en refusant d’occuper les sièges qui lui sont dévolus : « Je regrette que le dialogue politique soit rompu. Les crises électorales ou post-électorales naissent de malentendus, d’incompréhensions. »
A Niamey, certains observateurs s’inquiètent de potentiels troubles alimentés par une opposition qui ne semble plus prête au dialogue. « Jusqu’à présent, ils ont pensé qu’on allait continuer à jouer la poire molle. Mais c’est fini. Nous attendons de voir s’ils vont commettre l’erreur de refuser ma candidature. Moi, je n’ai plus rien à perdre », affirme M. Amadou. Agé de près de 70 ans, il sait qu’il joue là une de ses dernières cartes électorales. Autour de lui, les alliés de Cap 21 resserrent les rangs. Des appels à manifester sont envisagés.

Mais l’opposition est-elle réellement capable de mobiliser un peuple nigérien qui semble davantage préoccupé par sa survie économique que par les tractations politiciennes ? D’aucuns en doutent. M. Amadou, lui, pense au contraire pouvoir compter sur une opinion publique indignée par la multiplication des scandales de corruption présumée. Le dernier en date, un supposé détournement de fonds de 76 milliards de francs CFA (116 millions d’euros) dans l’achat de matériel militaire au sein du ministère de la défense, avait suscité l’indignation de la rue. Mais la manifestation organisée par la société civile en mars avait été violemment réprimée. « Nos lois sont claires, les citoyens ont le droit de sortir sans demander l’autorisation pour protester », insiste le chef de file de l’opposition, qui avertit : « Ce qui arrivera sera de notre responsabilité, mais largement de leur faute. »

Morgane Le Cam(Niamey, envoyée spéciale)

06 octobre 2020
Source : https://www.lemonde.fr/afrique/