Depuis qu’il occupe, malgré tout, les plus hautes fonctions de l’Etat, Bazoum Mohamed essaie de séduire les Nigériens en essayant de combler l’immense fossé qui le sépare de ses concitoyens avec des pelletées de sable qui soulèvent admiration et indignation. La question, bien évidemment, n’est pas de savoir en qui les petits gestes de Bazoum Mohamed suscitent de l’admiration et chez qui cela provoque de l’indignation. La question, c’est de savoir si l’on peut combler un fossé aussi béant que celui qui sépare Bazoum Mohamed des Nigériens avec des petites pelletées de sable aussi misérables que folkloriques ?

Bazoum essaie visiblement de se présenter comme un homme nouveau, convaincre de sa bonne foi, mais…

L’allègement du dispositif sécuritaire présidentiel, qui peut d’ailleurs être remis en cause à tout moment ; la suppression des postes de directeur de Cabinet ; son récent voyage à Paris, puis à Bruxelles, sa visite impromptue dans certains grands services de l’Etat, dans la plus grande simplicité, etc., sont autant de petits gestes par lesquels le nouveau locataire du palais présidentiel essaie d’emporter la sympathie de ses concitoyens. Des gestes qui sont nettement en dessous des attentes des Nigériens. Bazoum essaie visiblement de se présenter comme un homme nouveau, celui que les compatriotes attendent de voir prendre à bras-le-corps des préoccupations réelles et non se fourguer dans un populisme de mauvais aloi. Si ces petits gestes sont perçus comme autant de changements ayant une perception positive au sein de l’opinion, ils risquent, à terme, d’être appréhendés comme des actes endormeurs destinés à tromper ses compatriotes. La sentence est vite tirée. Avec son passif, Bazoum Mohamed est vite enterré. Et plus vite qu’il ne faut, il se verra dans l’obligation politique d’être un autre Issoufou, sinon d’être pire que Issoufou.

Le retour des populations de l’Anzourou dans leurs villages, un bon point pour Bazoum

En vérité, Bazoum Mohamed souffre. Il souffre profondément en sachant qu’il est loin, très loin d’avoir entamé ce qu’il a à faire pour combler ce fossé. Ce ne sont pas de petits gestes d’éclat assimilables à du populisme dont les Nigériens ont besoin, mais bien d’actes majeurs sur lesquels il n’aura pas besoin de faire du tapage médiatique inutile. En faisant semblant comme il le fait, il ne peut, à terme, qu’exaspérer ses compatriotes et il le sait. Le temps joue contre lui d’autant plus que ses compatriotes sont pressés d’entrevoir un début de solutions à leurs préoccupations. La sécurité et la justice sont principalement les plus fortes attentes des Nigériens. Le retour des populations de l’Anzourou, sous bonne garde de l’armée, dans leurs villages respectifs, est certainement un bon point marqué par Bazoum Mohamed. Mais, cela ne suffira pas. D’aucuns se disent que le plus difficile est d’assurer durablement la sécurité de ceux qui ont volontairement accepté d’accorder foi aux garanties du gouvernement et de retourner chez eux. « Pourvu que cela dure », a laissé entendre un ressortissant de la région.

Tourner en rond, tel est le sort de Bazoum

Le retour des populations de l’Anzourou dans leurs villages est un bon début pour Bazoum Mohamed qui pourrait, peut-être, être en train d’inaugurer un nouveau paradigme de la gouvernance sécuritaire. Les Nigériens qui observent, ne veulent point se laisser aller à des espoirs mal fondés. La position de Bazoum sur le dossier du ministère de la Défense leur a laissé un arrière-goût bien amer. Or, l’affaire résume toute la tragédie à laquelle est confronté le peuple nigérien dans l’Ouest et l’Est de son territoire. Pendant des années, des individus, civils et militaires, fonctionnaires et hommes d’affaires, se sont ligués dans un complot contre l’Etat en détournant par divers moyens et stratagèmes, les fonds dédiés à la défense nationale. Au bas mot, les fonds dilapidés sont estimés à plusieurs dizaines des milliards de francs CFA. Dans une totale impunité pour les auteurs qui se sont construit de grands empires financiers. Pour de très nombreux Nigériens, Bazoum Mohamed ne peut que tourner en rond.

Sécurité, justice… Bazoum doit se hâter de s’attaquer aux vrais problèmes

Au-delà, donc, de ces petits gestes sans incidence sur les préoccupations réelles de ses compatriotes, Bazoum Mohamed est un homme condamné à échouer. C’est du moins le verdict rendu, peut-être trop vite, par une partie importante de l’opinion nationale qui ne donne pas chère la peau de l’intéressé face à Issoufou Mahamadou et à son système qui est intact. Or, pour réussir, Bazoum ne peut faire l’économie de sacrifier Issoufou Mahaamdou et son empire. Si ses petits gestes traduisent une volonté réelle de rompre d’avec le système qui a prévalu une décennie durant, alors Bazoum doit se hâter de s’attaquer aux vrais problèmes. Sécurité, mais également justice sont au coeur de ces préoccupations. Et il va de soi qu’il ne peut convaincre que s’il fait preuve d’ingratitude vis-à-vis d’Issoufou. Après tout, pensent certains observateurs, ce dernier a adoubé Bazoum dans un dessein personnel. Bazoum, selon eux, est une sorte de cobaye au service d’un système qui pense pouvoir le manipuler à sa guise.

Bazoum semble évoluer avec une muselière et des œillères.

Des faits récents ou plutôt des rumeurs ont renforcé davantage ce sentiment que Bazoum n’est qu’un simple faire-valoir, un otage qui serait incapable de décider seul de sa gouvernance. Issoufou Mahamadou, qui est loin d’être un garçon de choeur, l’a fait savoir : Il n’est pas question que je m’éloigne de la gestion des affaires publiques, a-t-il confié en substance à un journal français récemment. « Je serai toujours là pour conseiller ou dire la vérité à Bazoum », at- il précisé. Un message clair pour ceux des Nigériens qui ont vite fait de chanter son départ. Aujourd’hui, la problématique de la gouvernance est tout autant claire. Bazoum semble évoluer avec une muselière et des oeillères. Il n’aurait pas une réelle autonomie en tant que président de la République et cela n’a rien à voir avec l’opposition. La dialectique a changé de pôle. Les plus récentes nominations au sein de l’armée ont ainsi nourri les rumeurs les plus folles. Le général Tchiani, dit-on, aurait refusé catégoriquement de quitter son poste au profit d’un autre officier et Bazoum n’a rien pu faire que d’annuler le décret qui le remplaçait par un autre. Bien entendu, derrière Tchiani, l’on voit forcément Issoufou Mahamadou. Otage ou complice de la situation qui a prévalu depuis 10 ans et à laquelle les Nigériens veulent un changement? Bazoum est sur un fil de rasoir. Il doit savoir manoeuvrer pour ne pas tomber. Et il a certainement mieux à gagner en tournant le dos à Issoufou que de le trimballer comme de lourds boulets qui l’empêcheraient nécessairement d’avancer.

Doudou Amadou