En cédant le pouvoir, au terme de deux quinquennats controversés, à un de ses lieutenants politiques, Issoufou Mahamadou savait certainement ce qu’il faisait. En effet, le stratège de Dandadji était pleinement conscient de l’impossibilité d’un troisième mandat consécutif au Niger, de par même l’Histoire récente de l’épisode fâcheux du ‘’Tazarché’’. C’était tout simplement du réalisme politique ou la consécration du principe de conséquence logique découlant de l’expérience du passé. Issoufou Mahamadou savait donc, parfaitement, les limites objectives de cette aventure de rester au pouvoir au-delà du nombre de mandats prévus par la Constitution. Sans oublier le fait qu’il ne se méprenait pas sur l’hostilité de la communauté internationale contre ces triturations constitutionnelles purement électoralistes. Or, l’un des profonds ressorts de la doctrine politique d’Issoufou Mahamadou, c’était l’apparence, la dissimulation machiavélique, par un argumentaire soigneusement élaboré, sauté à la sauce d’un républicanisme d’opportunité et vendu au public dans un emballage trompeur seulement teinté de progressisme démocratique. Ainsi, il aura endormi les uns et les autres sur ses véritables motivations, qui n’étaient pas la recherche de la première alternance démocratique au Niger, comme il le professait à cor et à cri, mais bien le désir de conserver le pouvoir par d’autres moyens détournés. Car, la véritable alternance politique eût sans consisté dans le passage du témoin entre le président sortant et le candidat de l’opposition. Du reste, on ne parle d’alternance qu’entre majorité perdante et opposition gagnante. Ce qui venait de se passer au Niger, entre Issoufou Mahamadou et Mohamed Bazoum, relèverait plutôt d’une succession politique. Alors que l’alternance suppose toujours la rupture avec l’ordre précédent, la succession prend très souvent les traits d’une continuité de l’action politique de ‘’l’illustre prédécesseur’’.
Une alternance démocratique véritable sacrifiée
Comme on le voit, en optant pour la succession politique, Issoufou Mahamadou avait son plan derrière la tête, lui qui passait l’essentiel de son temps à bouquiner sur les stratégies de conservation du pouvoir dans l’Histoire, du célèbre ‘’L’Art de la guerre’’, en passant par ‘’Le Prince’’ de Machiavel, pour finir sur les idéologies politiques modernes. Il s’inspirait de partout où la tactique, la manoeuvre et la ruse pourraient avoir leur place dans la réalisation des ambitions personnelles. C’est ainsi qu’il parvint à inventer une sorte de régence pour continuer à garder toujours une influence sur la vie politique nationale. Il ne voulait donc pas quitter le pouvoir pour toujours, il désirait y rester éternellement, pour une raison toute simple : l’échec patent de ses deux quinquennats. En effet, Issoufou Mahamadou savait pertinemment qu’il avait lamentablement échoué dans le respect des engagements politiques pris devant Dieu et les hommes. Son fameux ‘’Programme de la renaissance du Niger’’ n’aura été, en fin de compte, qu’une vaste entreprise d’escroquerie politique mise au profit de son pouvoir personnel et de son clan politique. Au moment du ‘’Tazarché’’, il aimait confier aux uns et aux autres que, si Mamadou Tandja voulait rester au pouvoir, après ses deux mandats constitutionnels, c’était tout simplement parce que ce dernier aurait échoué dans son ‘’Programme Spécial’’. On pourrait, aujourd’hui, soutenir la même chose pour le ‘’Programme de la renaissance’’, un fiasco retentissant, sans doute ! C’est, incontestablement, la raison principale de l’omniprésence d’Issoufou Mahamadou dans la conduite actuelle des affaires de l’Etat.
Deux agendas politiques opposés
Pendant les premiers mois du pouvoir, le président Bazoum avait semblé marquer une certaine rupture avec l’exercice du pouvoir par son prédécesseur. Il était apparu, subitement, sympathique auprès du public, en dépit des conditions dans lesquelles il avait été déclaré vainqueur à l’élection présidentielle passée. Les gens commençaient, alors, à tomber sous le charme forcé du natif de Tesker pour la sobriété, la simplicité qu’il voulait apporter à la façon de gouverner le pays. On avait même vu des images, sur les réseaux sociaux de la place, où il empruntait, seul, dans une gare parisienne, le métro pour se rendre à Bruxelles, au lieu de l’avion. Cette image avait beaucoup ému les gens, aussi bien au Niger que sur le continent africain, donnant ainsi l’impression d’un dirigeant soucieux des deniers publics de son pays. A l’intérieur du pays, on avait commencé à applaudir l’allègement substantiel du cortège présidentiel au passage duquel les usagers de la route étaient immédiatement autorisés à passer pour vaquer à leurs occupations quotidiennes. On raconte même, que, lors d’un retour de voyage, pendant le mois béni de Ramadan, le président Bazoum aurait choisi de ne pas rentrer à son Palais au moment de la rupture du jeûne, de peur que son cortège ne pénalisât de milliers de croyants ! Alors, il n’en fallait pas plus pour les fanatiques roses d’Issoufou Mahamadou de crier au scandale pour accuser tous ceux qui exprimaient leur satisfaction devant la façon sobre de Bazoum de gouverner le pays de vouloir établir une comparaison entre les deux hommes. Le pauvre Conseiller en Com. du président Bazoum, Wazir Idrissa Dan Madaouna, en fit d’ailleurs les frais, trahi par le Magazine panafricain, ‘’Jeune Afrique’’, en informant le clan Issoufou sur un article anonyme à faire paraître dans ce journal, article qui soulignait seulement des différences de style de gouvernance. Ce qui était, du reste, naturel, puisque chaque personne a sa façon de voir les choses propres à elles. Mais, c’était-là la limite à ne pas franchir, la ligne rouge, dira-t-on mieux ! Le clan d’Issoufou Mahamadou, furieux, fit alors pression sur le président afin d’obtenir la tête de l’auteur de crime de lèse-majesté, car dans la galaxie ‘’guriste’’, Issoufou Mahamadou est ‘’incomparable’’, « on ne peut le remplacer, on ne peut que lui succéder », dit-on souvent dans son entourage. Surtout face à Mohamed Bazoum, sa ‘’pure création politique’’ ! Le président Bazoum succomba à cette première balle, et depuis, la présidence Bazoum s’en ressent toujours et en étouffe mortellement. Aujourd’hui, plus grand monde au Niger ne se fait le moindre doute sur une présidence ligotée où les grandes décisions se prennent souvent hors du Gouvernement actuel, notamment au niveau des instances dirigeantes du PNDS/Tarayya aux mains de la vieille garde d’Issoufou Mahamadou.
Cependant, d’après certaines sources, le président Bazoum serait sur le point de fourbir les armes de la rébellion future contre son ancien mentor politique. Pour parvenir à un tel résultat, quoi de plus normal pour Bazoum que d’appliquer à Issoufou Mahamadou sa propre loi consistant à élargir sa majorité indéfiniment ? On dit que l’entrée au Gouvernement de ‘’Kinshi Kassa’’ d’Ibrahim Yacoubou procéderait de cette quête de s’affranchir de la tutelle étouffante de l’appareil du PNDS/Tarayya. Lui-même, Issoufou Mahamadou, avait, pendant son règne, recouru à cette méthode, en cooptant dans son Gouvernement le MNSD-Nassara de Seini Oumarou, en dépit de la majorité déjà confortable que lui donnait la MRN. Mais, c’était pour lui, aussi, un moyen de contenir ou de contrôler les desiderata de ses alliés politiques maintenus dans une vassalité permanente. C’était-là, probablement, l’expression la plus éloquente du cynisme politique à son stade le plus achevé. Or, en bon adepte du maître Issoufou, l’élève Bazoum semblerait avoir bien appris la leçon en se cherchant, à son tour, de nouveaux alliés politiques. On parle à cet égard de l’éventualité du RDR Tchandji de Mahamane Ousmane de rejoindre Bazoum. En dépit du démenti officiel du Bureau politique de ce parti, tout le monde sait au Niger que le sulfureux Doudou Rahama n’est que le fou du roi dans cette histoire, car il est toujours la voix de son éternel maître, à savoir Mahamane Ousmane. Aujourd’hui, pour Mahamane Ousmane, il n’existerait aucun obstacle dirimant de rejoindre Bazoum au pouvoir, son adversité politique irréductible ne concernant qu’Issoufou Mahamadou qu’il haïssait personnellement pour les raisons historiques que l’on sait. D’ailleurs, Bazoum et Nafarko partagent la même région administrative du pays, une raison de plus de se rapprocher, peut-être. On parle également du Lumana/FA de Hama Amadou, prêt aussi à tourner la page pour participer à la gestion du pouvoir. On raconte que le président Bazoum et le leader du Lumana/FA se seraient rencontrés dans le plus grand secret afin d’arrêter les modalités d’une future collaboration qui serait assortie d’une grâce présidentielle pour Hama Amadou par rapport à son passif judiciaire. Si ce rapprochement tardait à être matérialisé en actes concrets, ce serait sans doute le fait d’Issoufou Mahamadou et de son clan politique qui y seraient opposés radicalement. Mais, le président Bazoum, d’après des confidences de son entourage, aurait pris conscience de la nécessité absolue pour lui de sauver sa présidence en lui faisant retrouver son originalité qu’il avait voulu marquer au début de son quinquennat, vite étranglée par le culte de la personnalité construit autour d’un mythe, d’une légende que l’on voulait attacher au destin qui aura été celui d’Issoufou Mahamadou. C’est pourquoi, tôt ou tard, le clash entre les deux hommes deviendra inéluctable, car l’essence du pouvoir suprême est son unicité de prise de décisions. On dit que le président Bazoum est ‘’waqué’’ (envoûté) par Issoufou Mahamadou et son clan politique pour ne pas avoir d’autre volonté que celle du Manitou de Dandadji. Peut-être que cette ‘’magie noire’’ est sur le point de lâcher, comme le sont toujours ces irrationalités cosmiques, au grand bonheur du peuple nigérien, pour l’émergence d’un autre Niger, plus juste, plus prospère et plus égalitaire que ce pays disparate, éparpillé, fracturé en mille morceaux qu’aura légué le règne désastreux d’Issoufou Mahamadou et de son clan politique. Les prochains mois, les prochaines semaines et les prochains jours nous édifieront davantage sur les nouveaux contours de cette guerre des titans, entre OEdipe et son père, entre César et Brutus, bref, vous connaissez tous la fin de ces histoires sur le destin de l’humanité actuelle.
Dan Mallam