L’insécurité dont a hérité Bazoum Mohamed et pour laquelle il fait montre d’un volontarisme inouï, loin de disparaitre, est en train de se développer, s’étendant à d’autres espaces du territoire, et se rapprochant peu à peu et tragiquement de la capitale. La situation est grave quand, simultanément, les hordes de bandits qui écument le Sahel, désormais, n’épargnent personne : civils comme militaires. Pendant qu’on menace et qu’on pourchasse et chasse les populations locales, contraintes d’abandonner leurs terres, le gouvernement revient, après les tragédies, pour appeler les populations à retourner, promettant d’assurer leur sécurité. Alors qu’on pourrait se demander pourquoi il ne le fait pas avant que ne surviennent les drames, aujourd’hui, les populations, elles, de plus en plus dubitatives, commencent à ne croire plus à la capacité de ce gouvernement à ramener la paix, à vaincre le terrorisme, à rassurer les populations nigériennes. En vérité, Bazoum Mohamed a beau avoir la volonté nécessaire, il reste qu’il compose avec des gens dont les centres d’intérêt pourraient être ailleurs, non dans cette préoccupation présidentielle somme toute forte, mais contrariée à l’intérieur même du système. Pour avoir occupé le poste de ministre de l’Intérieur, les Nigériens avaient cru qu’à un tel niveau de la gestion du territoire, Bazoum Mohamed, plus qu’un autre, pouvait avoir une claire compréhension du problème sécuritaire, de maîtriser les différents leviers, et surtout les différents acteurs qu’il met en jeu. Mais après deux ans bientôt, force est de constater que son train ne démarre pas, qu’il peine à maitriser sa stratégie anti-terroriste, décevant des Nigériens angoissés et interrogateurs, voire sceptiques.

Pour bien d’analystes, si le régime peine, malgré une si grande volonté, à faire face à la menace et à la contenir pour qu’elle n’avance plus, c’est que quelques raisons objectives pourraient l’expliquer. La première est de voir en cette guerre imposée, pour des arrivistes une opportunité à saisir afin de s’enrichir, détournant et volant des milliards. Et la pratique s’est d’autant ancrée dans la gouvernance que l’armée en a payé les pots cassés, notamment quand au lieu d’investir les fonds consentis pour l’effort de guerre, des individus s’en étaient servi à des fins personnelles pour leur confort, poussant une armée mal équipée et des jeunes soldats peu formés et sans aucune expérience de la guerre, à aller se faire massacrer souvent la centaine à la pelle. On se rappelle que sous Issoufou, alors qu’on dit aux Nigériens que des milliards sont investis dans la guerre, les militaires au front se plaignaient de manquer de moyens quand souvent leurs primes de guerres ne sont pas détournées par une hiérarchie bourgeoise, insouciante, avide de brillance.

L’autre raison qui peut expliquer les contre-performances de l’armée se trouvent dans la gouvernance même de l’institution militaire. Pendant dix ans, cherchant à renverser la hiérarchie sur des considérations partisanes et subjectives qui ont conduit depuis dix ans à cultiver la médiocrité au sein des FDS, surtout quand dans de nombreux cas, l’on n’a pas l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Il ne peut en être autrement quand l’institution comme c’est du reste le cas de toute l’administration, souvent jusqu’à l’autorité coutumière, depuis plus de dix ans, est fortement politisée. Aussi, dans le but de créer et d’imposer une nouvelle hiérarchie, en dix années de gouvernance, le système Issoufou a passé son temps à accuser des soldats et des officiers craints, d’atteinte à la sureté de l’Etat. L’obsession du coup d’Etat est d’autant forte que chaque année avait son annonce fracassante de coup déjoué avec toujours des militaires et des civils arrêtés, sans jamais bénéficier de procès équitables. La récurrence des accusations a fini par instaurer une certaine psychose au sein de l’armée si bien qu’elle n’avait plus le moral pour être dans l’état d’aller se battre, la conscience tranquille. Comment peut-on tout le temps voir en l’armée une armée putschiste, subversive, l’accablant et la persécutant pour anéantir ses membres les plus valeureux et vouloir qu’une telle armée continuellement séquestrée soit efficace ? Là est le plus grand problème et ce qu’on n’ose pas dire aux Nigériens et quels sont, à cause d’un tel climat qui hante l’armée, les déserteurs et les démissionnaires qui craignaient que ce qui est arrivé à d’autres ne leur arrive, parce qu’ils ne vont ni dans les activités politiques souterraines du parti au pouvoir ou parce qu’ils ne courtisent pas les responsables politiques en vue, sont restés rigoureusement militaires dans les limites de la neutralité que leur impose leur métier de soldats exclusivement au service de la République. Au lieu de faire corps autour des FDS, le système que mettait en place l’ancien président Issoufou, n’a fait que persécuter une certaine hiérarchie de l’armée. Une telle gestion de la grande muette, comme il fallait s’y attendre, a fini par affaiblir l’armée, notamment quand dans certains cas, les hommes de rang envoyés au front ne croient à aucune qualité militaire de ceux qui sont choisis pour les conduire sur le champ de bataille.

La conséquence, on la vit aujourd’hui, avec souvent, des interventions spectaculaires de terroristes dans certaines zones où l’on a l’impression qu’aucune force ne s’oppose à eux, venant perpétrer leur barbarisme, et s’en retourner sans aucune action de représailles. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à s’interroger sur le manque de réactivité de nos soldats car, pour beaucoup d’observateurs, les terroristes trouvent des lieux désertés qu’ils détruisent et incendient avant de s’en aller penauds. Après, on peut aller sur les lieux, dresser un bilan, peu crédibles dans bien de cas, et annoncer qu’un ratissage se poursuit, avec des forces mises à la trousse des assaillants invisibles. Une telle situation peut-elle continuer ? On ne peut pas comprendre l’attitude des Nigériens face à une telle situation qui prend de l’ampleur, avec toujours des bilans macabres qui sont donnés après des attaques de terroristes. Juste pour pleurer un peu et vite oublier. Comme tétanisés et résignés, les Nigériens observent, passifs et silencieux, le mal les envahir, sans rien dire du drame auquel est soumis leur pays. La menace est donc réelle et pressante et il y a à en prendre conscience pour comprendre que l’on ne peut pas continuer à regarder la situation se dégrader jusqu’au pire. Pour certains, elle l’est déjà quand dans certaines régions, notamment celle de Tillabéri, presque chaque semaine qui passe voit d’autres écoles qui ferment, ne pouvant ouvrir à cause justement de ce phénomène d’insécurité et l’intimidation des terroristes.

Bazoum, peut-il avoir l’humilité de reconnaitre que sa solution n’est pas suffisante et qu’il lui faut aujourd’hui changer de fusil d’épaule ? Peut-il continuer à se fier à une équipe qui ne gagne pas ? D’ailleurs, il ne peut pas s’attendre à mieux quand on sait que ceux qui ont plongé le pays dans cette situation, sont les mêmes avec lesquels il travaille pour vouloir remonter la pente. Ceux-là peuvent-ils être les bonnes personnes pour vaincre le mal ? Il est urgent – et il s’agit même de la survie de l’Etat et de la démocratie – d’avoir un autre regard sur le problème. De Bazoum à Issoufou, toutes les voies ont été prospectées vainement pour venir à bout du terrorisme. Maintenant, il reste une seule voix, celle de la grandeur et de la magnanimité : écouter sur un tel problème crucial, en transcendant les clivages et les contradictions, l’ensemble des Nigériens pour reconquérir le territoire et y ramener la paix. C’est un besoin vital de notre époque troublée. Si Bazoum ne le fait pas, demain, face à l’Histoire et au Peuple pour lequel il jurait de travailler à son bonheur, il sera comptable, et rendra compte. Il y a des moments pendant lesquels on ne joue plus.

Mairiga