Le mercredi 2 octobre 2019, à l’occasion de l’ouverture officielle du forum des anciens d’Etat et de gouvernement sur le constitutionnalisme pour la consolidation de la démocratie et le transfert pacifique du pouvoir en Afrique qu’il a présidé à l’hôtel Radison blue de Niamey, le Président Issoufou a encore réitéré son engagement de partir en 2021. « Mon désir le plus ardent est de passer le pouvoir en 2021 à un successeur démocratiquement élu, ce sera ma plus belle réalisation, ce sera une première dans l’histoire de notre. pays depuis son accession à l’indépendance ». Commentant cette ultime déclaration sur ses intentions, le socio-politologue Souley Adji, a fait remarquer que « à moins qu’il ne s’agisse de la méthode Coué, consistant à répéter pour se convaincre soi-même, l’on ne voit guère l’intérêt d’un président devant obligatoirement quitter à seriner inlassablement son prochain départ du palais ». La remarque vaut de l’or d’autant plus que son allocution d’ouverture dudit sommet est truffée de clairs-obscurs inquiétants. Il a continuellement dit une chose et son contraire, passant par des rappels de faits historiques sans intérêt pour l’objet de la réunion et des interrogations qui en disent long sur le drame intérieur qui déchire le Président Issoufou.

Le clair-obscur du Président Issoufou

Le Ndi n’a sans doute pas choisi au hasard le Niger pour accueillir le forum des anciens d’Etat et de gouvernement sur le constitutionnalisme pour la consolidation de la démocratie et le transfert pacifique du pouvoir en Afrique.

Est-ce parce que Mahamadou Issoufou n’inspire pas confiance ? Quoi qu’il en soit, le discours prononcé par le président nigérien a de quoi laisser perplexe. S’il a de nouveau martelé, comme dirait Souley Adji , son antienne, Mahamadou Issoufou a évoqué néanmoins des faits historiques qui sont plutôt des contre-exemples. Ainsi a-t-il rappelé que, aussi bien aux Etats Unis comme en France, la limitation des mandats a été le résultat d’un long, très long processus. Dans le premier cas, at- il évoqué, la constitution ne prévoyait au départ aucune limitation. Et que ce fut Georges Washington qui initia la tradition de la limitation à deux mandats, limitation, souligne-t-il, qui n’a été formalisée que par le 22e amendement après quatre mandats de Franklin Delano Roosevelt ». Dans le second cas, a indiqué le Président Issoufou, « la dernière limitation de mandat date du 23 juillet 2008 » et que « la constitution de la deuxième République française, celle de 1848, prévoyait l’élection du président de la République pour un mandat de quatre ans et une réélection après un intervalle de quatre ans ». L’évocation des faits historiques est tombée comme un cheveu dans la soupe. Elle intrigue certainement et les interrogations qui ont fait suite à ces rappels ont fini d’achever la peinture. C’est le clair-obscur total lorsque Mahamadou Issoufou se demande, en l’imputant à d’autres que lui, si « les droits de l’homme eglobent le droit à la réélection » et « quelles sont les limites de ce droit ? ». Il va plus loin, en s’interrogeant si « les limitations de mandat restriegnent-elles les droits de l’homme et les droits politiques des candidats à l’élection ? » ou encore « quelle est la meilleure manière de modifier les limitations de mandat dans un Etat constitutionnel ? ». Mahamadou Issoufou, à n’en point douter, a tenté de jeter le pavé dans la mare, en suscitant un débat qui sied mal en la circonstance. Il n’a pas été suivi dans sa logique et ses préoccupations mal fondées, le forum s’étant terminé par une déclaration sans ambiguïté sur la limitation des mandats et le respect strict des dispositions constitutionnelles. Or, au Niger, la loi fondamentale, très stricte, indique en son article 47 que « en aucun cas, nul ne peut faire plus de deux mandats à la tête de l’Etat ».

Des inquiétudes justifiées

Pour Souley Adji, qui rappelé que le discours de Mahamadou Issoufou sur son départ à la fin de ce mandat n’est ni un mérite ni un hasard, il est clair qu’après l’amère expérience qu’avait connue son prédécesseur, aucun président élu ne se hasarderait désormais à chercher à prolonger illégalement son mandat. Mais si le socio-politologue trouve improbable que Mahamadou Issoufou veuille chercher, de quelque manière que ce soit, à s’incruster au pouvoir, il reste qu’il a de fortes inquiétudes. Des inquiétudes que justifient des faits antérieurs et la promesse, jamais tenue, de Mahamadou Issoufou de considérer l’échec du processus électoral de 2016 comme le sien propre. « Qu’entend-il par «démocratiquement » quand, non seulement l’on se rappelle que les élections de 2016 n’avaient pas été un exemple de vertu démocratique, mais aussi que la conduite même du double mandat laisse beaucoup à désirer ». Les inquiétudes sont encore plus prononcées lorsqu’on écoute Abdourhamane Zakaria, le porte-parole du gouvernement, qui a déclaré que « avec ou sans l’opposition, le Niger ira aux. élections en 2020 ». Est-ce un fait du hasard si l’intéressé a fait cette déclaration sur une radio internationale [DW] le jour où Mahamadou Issoufou procédait à l’ouverture du forum sur la limitation des mandats ? Quoi qu’il en soit, réponse du berger à la bergère, l’opposition politique lui a vertement répondu, indiquant dans un communiqué rendu public que « les élections prochaines se tiendront avec l’opposition ou elles ne se tiendront pas ».

Le processus électoral, comme en 2016

Le changement de discours de l’opposition politique qui, pour une fois, menace clairement de s’opposer à la tenue des élections tant qu’elles ne sont pas faites sur la base d’une loi électorale consensuelle et un processus transparent, ajoute aux inquiétudes profilées à travers le clair-obscur de Mahamadou Issoufou. La surenchère politique est désormais ouverte. Et l’opposition politique n’est la seule à se plaindre du processus électoral et à réclamer des ajustements. L’Apr [Alliance pour la République], groupement de partis soutenant Mahamadou Issoufou mais qui se veut distinct de la Mrn [Mouvance pour la renaissance du Niger], a saisi par écrit le Premier ministre, président du Cndp [Conseil national de dialogue politique] pour une réunion d’urgence sur le processus électoral et la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Entre autres griefs relevés, l’Apr a souligné « la délivrance de pièces d’étatcivil qui n’est pas effective dans presque toutes les régions du pays, notamment à Tillabéry et à Dosso où elle est à moins de 50% des prévisions de la Ceni ». Autrement dit, les audiences foraines sont loin d’être achevées pour lancer l’enrôlement des électeurs. Un cafouillage déjà connu avec le Cfeb de Malam Oumarou et qui va être réédité, si les acteurs politiques qui tiennent à des élections crédibles ne mettent pas le holà.

Doudou Amadou

17 octobre 2019
Publié le 07 octobre 2019
Source : Le Canard en Furie